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LA FOUX-AUX-ROSES

Cependant, comme il n’avait pas laissé sa vantardise au fond de l’eau, il donna une dernière poignée de main à ses compagnons en leur disant :

« Je n’ai pas voulu contredire papa, mais il a tort de me prendre pour un débutant ; je suis très fort, et je n’aurais pas peur de descendre sur ma bicyclette une côte beaucoup plus raide que ce petit chemin.

— Au revoir ! à bientôt ! criait Marthe, qui remontait en courant les allées du jardin, au moment où ses frères s’arrêtaient devant la maison.

— À qui parles-tu ? lui demanda Norbert.

— Devinez ! répondit-elle, toute radieuse.

— Devine toi-même ce qui nous est arrivé !… Une véritable aventure !

— Racontez-la moi, alors ; une aventure, c’est trop extraordinaire pour être deviné.

— Commence par nous dire à qui tu parlais, ou tu ne sauras rien.

— Eh bien ! s’écria Marthe, dont les yeux brillaient de joie, c’est à Nadine Jouvenet. J’ai passé la matinée aux Myrtes ; j’ai vu sa grand’mère, sa mère, sa bonne, son chien ; tout le monde, enfin… Ce qui est le plus drôle, c’est avec le chien que j’ai d’abord fait connaissance.

— À table ! enfants ; nous sommes tous en retard, et votre maman doit nous attendre », s’écria gaiement M. Brial, qui venait de rentrer.

Ce fut au déjeuner que Marthe apprit comment ses frères et Philippe s’étaient rencontrés. Leur récit fut si souvent interrompu par les réflexions de tous les auditeurs qu’on quitta la table avant qu’elle eût entamé sa propre aventure.

« À ton tour, à présent, parle-nous de Nadine, dit Norbert, en l’entraînant sur un des bancs de la salle de verdure.

— Oh ! mon histoire est drôle aussi… Pendant que j’étais seule au jardin, je suis allée m’asseoir sur le rebord en pierre de la petite terrasse…

— Pour voir ce qui se passait plus bas dans le jardin des Myrtes et désobéir à maman, fit Jacques.

— Pas du tout, monsieur ; j’avais tiré de ma corbeille trois belles pelotes de laine, et je commençais des chaussons pour Marie, ma filleule…

— Un quatre-vingt-dix-neuvième ouvrage que tu termineras comme les autres.

— Jacques, tu es insupportable ; ce n’est pas à toi que je parle, c’est à Norbert… Il y avait assez longtemps que je travaillais sans même lever la tête ; mais au pied de la terrasse, dans le jardin des Myrtes, j’entendais remuer les branches, on poussait de petits cris comme un enfant qui pleure ; au troisième cri, je n’ai pas pu résister au désir de me pencher tout doucement et j’ai aperçu… devinez…

— La sœur de Philippe, sans doute ?

— Non, un beau caniche noir qui me regardait avec des yeux brillants comme des escarboucles.

— Un caniche, c’est superbe pour compléter une famille intéressante, dit Norbert : toi qui as la langue bien pendue, je parie que tu as trouvé moyen de lui faire la conversation.

— Dame !… d’abord je lui ai dit : « Bonjour, mon voisin », et il a remué la queue si gentiment pour me remercier que j’ai ajouté : « Tu es le plus joli chien du monde… » Bah ! il se moquait bien de mon compliment : en me penchant, j’avais fait tomber mes pelotes de laine dans le jardin et il se payait une vraie partie ; il jappait, il gambadait… à chaque coup de patte, les pauvres pelotes roulaient et la laine dévidée s’accrochait à toutes les plantes ; j’avais beau crier, rien ne l’arrêtait.

— Que j’aurais voulu le voir ! s’écria Jacques ; c’est un chien comme cela qu’il nous faudrait !… et la petite fille, tu n’en parles pas.

— Attends un peu : tout à coup une grosse voix a crié : « Morilo !… » mais le toutou s’est blotti sous un buisson. C’était la domestique au bonnet rond, elle tenait une cravache à la main. À la vue des fils tendus de-ci de-là, elle a ajouté avec un drôle d’accent : « Ah ben, en v’là d’une autre ! c’est-il comme ça qu’ils prennent les oiseaux ici !… V’nez voir, mam’zelle Nadine. » Et Nadine est accourue.