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LA GRANDE FORÊT

de Max Huber ou de John Cort se posaient sur sa tête.

Lorsque le chariot eut fait halte, les bœufs, fatigués d’une longue route par une température dévorante, se couchèrent sur la prairie. Aussitôt Llanga, qui venait de cheminer à pied pendant une partie de l’étape, tantôt en avant, tantôt en arrière de l’attelage, accourut au moment où ses deux protecteurs descendaient de la plate-forme.

« Tu n’es pas trop fatigué, Llanga ?… demanda John Cort, en prenant la main du petit garçon.

— Non… non !… bonnes jambes… et aime bien à courir, répondit Llanga, qui souriait des lèvres et des yeux à John Cort comme à Max Huber.

— Maintenant, il est temps de manger, dit ce dernier.

— Manger… oui !… » répondit Llanga.

Puis, après avoir baisé les mains qui lui étaient tendues, il alla se mêler aux porteurs, sous la ramure des grands arbres du tertre.

Si ce chariot ne servait qu’au transport du Portugais Urdax, de Khamis et de leurs deux compagnons, c’est que colis et charges d’ivoire étaient confiés au personnel de la caravane, — une cinquantaine d’hommes, pour la plupart des noirs du Cameroun. Ils avaient déposé à terre les défenses d’éléphants et les caisses qui assuraient la nourriture quotidienne en dehors de ce que fournissait la chasse en ces giboyeuses contrées de l’Oubanghi.

Ces noirs ne sont que des mercenaires, rompus à ce métier, et payés d’un assez haut prix, que permet de leur accorder le bénéfice de ces fructueuses expéditions. On peut même dire qu’ils n’ont jamais « couvé leurs œufs », pour employer l’expression par laquelle on désigne les indigènes sédentaires. Habitués à porter dès leur enfance, ils porteront tant que leurs jambes ne leur feront pas défaut. Et, cependant, le métier est rude, quand il faut l’exercer sous un tel climat. Les épaules chargées de ce pesant ivoire ou des lourds colis de provisions, la chair souvent mise à vif, les pieds ensanglantés, le torse écorché par le piquant des herbes, car ils sont à peu près nus pour ménager leurs vêtements, ils vont ainsi depuis l’aube jusqu’à onze heures du matin et ils reprennent leur marche jusqu’au soir lorsque la grande chaleur est passée. Mais l’intérêt des trafiquants commande de les bien payer, et ils les payent bien ; de les bien nourrir, et ils les nourrissent bien ; de ne point les surmener au delà de toute mesure, et ils ne les surmènent pas. Très réels sont les dangers de ces chasses aux éléphants, sans parler de la rencontre possible des lions et des panthères, et le chef doit pouvoir compter sur son personnel. En outre, la récolte de la précieuse matière achevée, il importe que la caravane retourne heureusement et promptement aux factoreries de la côte. Il y a donc avantage à ce qu’elle ne soit arrêtée ni par des retards provenant de fatigues excessives, ni par les maladies — entre autres la petite vérole, dont les ravages sont les plus à craindre. Aussi, pénétré de ces principes, servi par une vieille expérience, le Portugais Urdax, en prenant un soin extrême de ses hommes, avait-il réussi jusqu’alors dans ces lucratives expéditions au centre de l’Afrique équatoriale.

Et telle était cette dernière, puisqu’elle lui valait un stock considérable d’ivoire de belle qualité, rapporté des régions au delà du Bahar-el-Abiad, presque sur la limite du Darfour.

Ce fut sous l’ombrage de magnifiques tamarins que s’organisa le campement, et, lorsque John Cort, après que les porteurs eurent commencé le déballage des provisions, interrogea le Portugais, voici la réponse qu’il obtint, en cette langue anglaise qu’Urdax parlait couramment :

« Je pense, monsieur Cort, que le lieu de halte est convenable, et la table est toute servie pour nos attelages.

— En effet, l’herbe est épaisse et grasse… répliqua John Cort.

— Et on la brouterait volontiers, ajouta Max Huber, si on possédait la structure d’un ruminant et trois estomacs pour la digérer !

— Merci, répondit John Cort, mais je pré-