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LA FOUX-AUX-ROSES

der. Voyons, petite fée, qu’est-ce que ce garçon a donc dit de si drôle ?

— Ah ! monsieur, tout au contraire, c’est ce qu’il ne dit pas qui est le plus amusant… il oublie les ronces, les épines, elles le piquaient et ça le faisait pleurer. Sans Norbert, qui l’a tiré très fort, je crois qu’il serait encore dans la Foux !… moi, j’étais trop loin pour lui tendre la main.

— Une fille qui m’aurait aidé… j’aurais bien voulu voir cela ! » exclama Philippe rouge et piqué.

Son air de dédain ne fut pas du goût d’Irène ; elle ne riait plus en répondant avec feu :

« Vous êtes bien fier… Une fille comme moi n’a pas peur d’une piqûre et ne s’amuse pas à mentir ! Je vaux bien un garçon qui pleurniche devant deux brins de ronces et raconte un tas d’histoires qui ne sont pas vraies ! »

Entièrement déconcerté, Philippe ne savait plus quelle contenance prendre sous le regard mécontent de son père.

« Toujours le même, mon pauvre garçon, dit ce dernier, haussant les épaules. Vaniteux comme un paon et brave comme une poule mouillée !… Quand te corrigeras-tu ?

— Papa, je t’assure…

— Assez ! tu vas encore me servir quelque sottise et me fâcher tout à fait. »

Si penaud que fût Philippe, il n’était pas le plus confus en ce moment : Irène s’aperçut que le sourire aimable de M. Jouvenet avait fait place à un sévère froncement de sourcils et que la vieille dame, dont son petit-fils était le favori, hochait la tête en lui lançant un coup d’œil de reproche.

Elle n’entendait pas grand’chose à la politesse telle qu’on l’apprend aujourd’hui aux enfants bien élevés ; sa tante, toujours occupée des travaux champêtres, lui faisait donner des leçons et surveillait son instruction, mais ne s’inquiétait nullement de ses manières rustiques. Mlle Lissac ne pensait pas non plus que sa nièce eût besoin d’amies de son âge ; aussi le jeune monde connu de l’enfant solitaire se composait-il des petits campagnards dont les parents travaillaient sur les propriétés de la tante Dorothée. Quand Irène les rencontrait, ils lui adressaient la parole avec la familiarité un peu fière des méridionaux ; mais ils l’appelaient « Mademoiselle » et se laissaient tancer et quereller par elle de si bonne grâce que notre petite fille avait pris l’habitude de dire sans se gêner sa façon de penser. Les fanfaronnades de Philippe étaient ridicules. Irène avait donc trouvé naturel de les railler ; pour mieux dire, elle trouva cela naturel jusqu’au moment où, ayant lu sur le visage de M. Jouvenet une vive contrariété, sur celui de la grand’mère un peu de tristesse, deux grosses larmes brillant dans les yeux du jeune garçon mirent le comble à sa confusion.

« Ai-je dit quelque chose de mal ? interrogea-t-elle, en les regardant à la ronde. Oui, oui, je suis une sotte de parler sans réfléchir ; pourtant, je ne croyais pas vous faire de peine… voulez-vous me pardonner ? »

Quittant son piédestal, elle avait sauté près d’eux et tendait sa petite main ouverte avec un sourire si affable que tous les visages, excepté celui de Philippe, s’éclairèrent en même temps.

« Vous êtes une aimable enfant, dit M. Jouvenet ; allons, mon garçon, un bon mouvement, imite-la ; c’est ainsi qu’on se fait des amis dans ce monde. »

Philippe, à qui ces dernières paroles s’adressaient, mit pour la seconde fois depuis le matin sa main dans celle d’une personne qui avait froissé son amour-propre.

« Merci », dit gentiment Irène, croyant qu’il la lui donnait de bon cœur ; puis, au grand étonnement de tous, elle partit comme un trait dans la direction de la bastide.

Cette fois, Mme Francœur n’y tint plus :

« A-t-on jamais vu une enfant aussi mal élevée ! s’écria-t-elle d’un ton scandalisé ; je vous assure, mon gendre, qu’on parcourrait tout Mortagne sans trouver la pareille ! »

L’architecte sourit :

« Peut-être bien, chère madame, les petites filles de votre connaissance sont-elles plus civilisées que celle-ci ; mais combien pourrez-vous m’en nommer qui cherchent à réparer