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P. PERRAULT

« Allons au Vieux Moulin jusqu’à ce qu’il revienne. »

Il, c’était Philippe.

Sous la pluie, qui rafraîchissait son front brûlant, il traversa le parc.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le moulin ne tournait pas. Morne et silencieux, il planait sur la colline attristée d’où l’eau, par mille rigoles, ruisselait vers la plaine.

Son pignon enfoncé dans la brume nuageuse, ses grandes ailes fouettées par la rafale, ses roses effeuillées et surtout cette immobilité de navire échoué en plein brouillard, tout rappelait à l’enfant le désastre de l’arsenal.

Finie, semblait-il, la gaieté du Vieux Moulin, finis ses joyeux ronrons… dispersée la légère poussière blanche qui, du matin au soir, montait vers le ciel, comme la dîme au Créateur de cette douce farine tombant d’entre les meules pour le pain du riche et de l’indigent.

Le cœur de René, si triste pourtant, s’attrista davantage encore ; demain, les ailes du moulin recommenceraient à tourner, tandis que jamais plus ne glisserait sur l’eau le Jean-Bart, cuirassé français.

La porte s’ouvrit sous la poussée du visiteur.

Il entra et fut accueilli par des rires joyeux qui ressemblaient aux pépiements d’une nichée de moineaux.

Les voix sortaient de la chambrette ménagée à la base de la cage. C’est là qu’Aubron portait les résidus encore tièdes de la mouture restés au blutoir et les déversait dans des berniquets[1] différents, selon leur qualité… les uns ne contenant que du bran[2], les autres chargés encore de grumeaux.

Le bran, seul déchet de la mouture du pauvre, n’est plus bon qu’à l’engrais des bestiaux.

Les rires avaient couvert le bruit de l’arrivée du jeune garçon.

Levant la cadole[3], celui-ci entra au grand émoi de trois marmots perchés, qui sur les genoux, qui sur l’épaule du mounet, tels des pierrots sur une statue.

Aubron se leva, secoua doucement la grappe vivante accrochée à sa personne et s’excusa de n’avoir pas entendu son visiteur.

« Dame ! aussi, monsieur René, c’est votre faute, dit-il en riant ; depuis quinze jours qu’on ne vous a point vu ici, je pouvais croire que vous m’oubliiez tout à fait.

— Mais vous ne manquez pas de compagnie », dit le garçonnet en désignant les trois bambins qui recommençaient l’ascension des jambes du mounet… même le dernier, une fillette de deux ans à peine dont les boucles blondes gonflaient le bonnet de drap noir et tombaient en désordre sur son cou.


Paul Roland.

(La fin prochainement.)



POUR L’HONNEUR

Par P. PERRAULT


CHAPITRE VI


Le matin d’un triste jour de décembre, dans le brouillard gris qui enveloppe les choses, là-bas à l’embranchement de la route de Chalon, vers le Péage, un cortège se forme derrière les voitures de deuil, qui viennent enfin d’apparaître.

Il se range le long du chemin humide aux accotements verts où le bruit des pas s’étouffe. Tout au loin, les petites collines se haussent très vagues dans la brume. À peine entrevoit-on au premier plan, sur le gris plus

  1. Coffres.
  2. Partie grossière du son.
  3. Loquet.