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COLETTE EN RHODESIA

Après force paroles inutiles, et toujours au milieu de la foule qui ne les lâche pas d’une semelle, le marché est conclu. Le père Campistrol consent à louer, pour une somme rondelette, un hangar vide qu’il possède sur le quai de la Joliette,

tout contre le mur extérieur des docks, et où l’éléphant, à l’abri des curiosités gênantes et en sûreté sous une bonne serrure, attendra qu’on puisse disposer de lui.

Le père Campistrol, qui est homme de ressources, s’engage à fournir la nourriture de l’éléphant, et, prenant congé de leur ami avec force caresses et bonnes paroles, la famille Massey s’éloigne pour vaquer aux cent détails qui réclament son attention après un long voyage.

Goliath reste seul dans son hangar, et, s’abîmant dans ses réflexions, semble chercher à comprendre ce qui lui arrive.

Ce n’est plus le deck du Polynésien, avec le grand souffle du large, l’immensité du ciel et des eaux autour de lui ; et surtout ce ne sont plus les caresses, les flatteries, les friandises, les jeux, qui ont charmé ses loisirs pendant de longs jours… Il est seul dans un hangar obscur, empesté d’une odeur de poisson ; Colette a disparu. La voix argentine de Tottie, la voix chère de Gérard, Le Guen et sa bonne odeur de pipe, tous ces éléments de bonheur se sont évanouis en fumée !… Plus personne… plus d’adorateurs empressés… plus de mannequin boer à démolir… et, au dehors, des voix inconnues qui se chamaillent, un vacarme de gamins qui s’efforcent de voir à travers les fentes de la porte, de dévorer des yeux le géant dans sa solitude…

C’en est trop… et, levant sa trompe en l’air, le pauvre abandonné commence à bariter sur un ton lugubre…

Les gamins, enchantés, lui répondent par des trépignements et des cris de joie ; bientôt, pris d’émulation, ils commencent à imiter le cri de l’éléphant. Et c’est un vacarme assourdissant sur tout le quai de la Joliette. De nouveaux adeptes accourent de toutes parts et joignent leurs glapissements à ceux des premiers musiciens. Exaspéré, offensé, Goliath mène un bruit terrible ; sur un ton impérieux, frénétique, il barite de plus belle ; sa voix aiguë domine toutes les autres, et un attroupement considérable ne tarde pas à se former devant la porte close du hangar, dont le père Campistrol a la clef en poche. Tout prend facilement les proportions d’une