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ÉMILE MAISON

du 30e de ligne, il faut battre l’eau, soit à la nage, comme on l’a vu ci-dessus, soit, avec un bâton à la main, en marchant de guingois dans le lit de la rivière. Le niveau d’icelle étant d’ordinaire assez bas, rien de plus aisé : on se chausse de sabots pour protéger la plante des pieds contre les verres cassés, débris de vaisselle, ronces naturelles ou artificielles, dont peut être semé ce chemin fluvial.

L’eau battue, on la fouille ; ce qui devient de plus en plus paradoxal, sans cesser d’être d’une rigoureuse exactitude. Remarquons, du reste, que la loutre ne procède pas autrement que le pêcheur à la main, ou plutôt que celui-ci a pris modèle sur celle-là, l’homme n’ayant rien inventé…

« Vous dites que… ?

— … Bien avant l’homme, l’oiseau faisait son nid, et que sur les deux rives de la Bièvre il y avait des villages de castors, avec des rues tirées au cordeau.

— Vous nous en faites accroire, décidément.

— Non point… Dès qu’apparaît la civilisation, pressentant l’ennemi, le castor cesse de bâtir sa maison ou son château…

— ?

— Giraud de Barry, accompagnant Baudouin, archevêque de Cantorbury, en 1188, dit avoir vu des castella de castors dans le pays de Galles. Ce témoignage concorde avec celui un peu antérieur de Jacques de Vitry, évêque de Ptolémaïs, qui, dans son Histoire des Croisades, raconte que le castor, ne pouvant vivre longtemps sans tremper dans l’eau sa queue écailleuse, construit sa maison sur les rivières et y fait plusieurs étages, de façon à pouvoir monter ou descendre suivant la crue ou l’abaissement des eaux.

— Pourtant, sur le Rhône, où il existe encore, paraît-il, deux ou trois familles castoriennes, aucune trace d’habitation.

— Observation parfaitement exacte ; en tout cas, cet amphibie ne couche pas à la belle étoile. Il a su construire des galeries souterraines dont j’ai sous les yeux un très curieux schéma dessiné par M. Savoye, propriétaire du domaine de Maguelonne, en Camargue.

— Et puis ?

— La Bièvre a pris son nom du castor fiber des naturalistes, bever en celto-breton, biber en vieux tudesque. Presque partout, vous voyez, le nom latin. Comme surnom de localités, nous avons d’autres Bièvres, puis des Beuvrons, des Beuvronnes, et nous avons eu Bibracte, aujourd’hui Autun, ville principale des Éduens.

— Et, en ces temps-là, le bibrac se laissait-il cueillir à la main ?

— Jamais. Pas si bête !

— Et la loutre ?

— C’est vous, cher monsieur, qui voulez rire. »

Revenons à notre point de départ au sujet de cet ichtyophage, faussement apparenté avec le prince des végétariens.

J’ai dit : l’homme ne procède pas autrement que la loutre. En effet, elle se trémousse d’abord comme le diable dans un bénitier ; puis, quand elle juge le moment venu, se coulant dans l’ombre, elle choisit les plus belles pièces et, après leur avoir préalablement donné le coup de grâce, les va serrer dans son garde-manger, sauf à s’ouvrir l’appétit d’un fretin quelconque entre temps.

Quoique n’étant point sotte et armée pour la défense, du fait de ses épines dorsales, la perche est, de tous les poissons, le plus facile à prendre aux caresses ; sa rugosité même est un atout de plus dans la main du pêcheur, et elle a tant de confiance qu’on peut impunément la « bercer » sans qu’elle cherche à vous fausser compagnie. Bercer est bien le terme propre, d’autant que vouloir violenter cette espèce serait imprudent.

Le brochet, lui aussi, se laisse approcher, mais il glisse entre les doigts. Outre cela, les lui fourrer dans les branchies est chose dangereuse, celles-ci étant protégées par de petites dents très acérées, sans compter les sept cents dont sa gueule est armée.

Et l’anguille ? Quelqu’un dont la parole n’est point suspecte, m’a assuré en avoir vu prendre, la main étant gantée de coton. Il se