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MONOGRAPHIES VEGETALES

MONOGRAPHIES VÉGÉTALES


LA PLANTE BIENFAITRICE (Suite.)


Si vous m’en croyez, nous laisserons ces irascibles savants se chamailler en famille, en nous abstenant de prendre part à la querelle. Toutefois, s’il nous était permis d’opiner modestement, nous insinuerions que tout porte à croire que, bien décidément, le pommier n’est pas un poirier. Bien des choses les différencient l’un de l’autre. Si les fleurs se ressemblent au premier abord, examinées de près, elles diffèrent. Celles du poirier sont d’une blancheur éclatante ; celles du pommier, nous l’avons dit, sont lavées de carmin. Les styles sont de physionomies distinctes. Tandis que la queue de la pomme disparaît à demi dans une cavité, celle de la poire, haut perchée, en surmonte le sommet aminci. Coupons en deux cette dernière, nouvelle différence. Le cœur est dur, granuleux, presque pierreux, tandis que la pulpe juteuse de la pomme s’étend jusqu’à la membrane même qui enveloppe les graines. Et puis ce sont encore les feuilles qui diffèrent, et l’écorce, et la disposition générale des branches, qui crée chez l’un et l’autre une physionomie bien personnelle. Et les fruits donc, sont-ils assez distincts par leurs caractères généraux et particuliers ?

Le pommier est donc bien pommier, de ses racines jusqu’au faîte. Ses branches, nous les connaissons : branches de travailleur, de producteur infatigable, qu’il faut étayer tout à l’entour dans les « années à pommes », pour les prémunir contre un écrasement irrémédiable. Les feuilles sont simples et entières, délicatement dentelées, mollement cotonneuses en dessous, luisantes en dessus. Les fleurs sont grandes, ouvertes, parfois agglomérées en corymbe ; le calice à cinq sépales entoure cinq pétales blancs ou rosés qui, eux-mêmes, enveloppent une vingtaine d’étamines éparpillant, tout autour des cinq styles, leurs petites têtes mutines, ordinairement jaunes, mais quelquefois rouges et comme transparentes.

Les fleurs se ressemblent toutes plus ou moins ; mais, dans les pommes, quelle immense diversité ! Blanches, vertes, grises, fauves, jaunes, violettes, presque noires, rouges surtout, rouges de tant de nuances, depuis le frais carmin des pommes d’api jusqu’à la pourpre sombre de certaines calvilles ; que de teintes diverses, piquées de points, rayées de lignes, tachetées, panachées, le tout s’alliant à des formes non moins variées : rondes, oblongues, déprimées, cylindriques côtelées ou en « museau de lièvre », qui est le nom de l’une d’entre elles.

Les variétés sont véritablement innombrables ; on les compte par centaines ; aussi de quels noms bizarres les a-t-on affublées : amer-doux-blanc, belle-fille, doux-évêque, gros-bénêt, haute-bonté, tard-fleuri, peau-de-vieille, et tant d’autres encore. Voici la magnifique collection des apis : api noir, api blanc, api étoilé ; puis les fenouillets parfumés, les pigeonnets coniques, les passe'pommes à larges côtes ; quelques types originaux, tels que la pomme de glace, la pomme citron, la pomme figue, la pomme concombre, la pomme violette, parfumée comme la fleur de ce nom ; puis la noble corporation des calvilles, blanches, rouges, tachetées ; au-dessus d’elles, enfin, les reinettes, grises, rayées, dorées, dominées par leur reine à toutes, le chef-d’œuvre du pommier : la reinette du Canada, verte d’abord, puis jaune et piquetée de points bruns… et exquise alors !

L’origine du pommier, non moins obscure que celle de tant d’autres (hommes et végétaux) a été l’objet d’une foule de contestations, et c’est peut-être pour couper court aux hypothèses que l’un des Normands les plus célèbres, Bernardin de Saint-Pierre, s’amusa à nous raconter la petite fantaisie suivante :