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P. PERRAULT

Pierre eut un geste indifférent ; le séjour à la caserne lui avait appris à se passer de confort.

Ce qui lui était plus désagréable, c’était le brouhaha au milieu duquel il faudrait vivre. Il avait tant besoin de réfléchir, de préparer ses démarches, de méditer sur ce qu’il devrait dire et taire ! Mais, après tout, cet inconvénient serait de courte durée.

Il en prit d’autant mieux son parti que sa chambre lui plut à tous égards.

Elle était spacieuse, commode et reliée par un couloir de dégagement à l’escalier de service, ce qui lui permettrait d’entrer et de sortir sans se trouver mêlé à la cohue du logis principal.

Pierre se déclara satisfait et déclina l’offre que lui faisait le garçon de déménager, une fois les voyageurs du premier étage partis. Le lendemain, vers neuf heures, il sonnait la porte de maître Réhot.

Décidé à voir, s’il le fallait, tous les notaires de la ville, il s’était arrêté chez le premier que lui avaient signalé les panonceaux d’usage.

Maître Réhot était un tout jeune homme. Notaire depuis quelques mois, il avait à peine eu le temps de prendre possession de son étude ; la plupart des dossiers laissés par son prédécesseur lui étaient encore inconnus.

Aussi, la question par laquelle son visiteur matinal entama l’entretien le fit sourire.

Pierre demandait :

« Pourriez-vous me dire, monsieur, si, un peu avant la date du 7 juillet 1863, il a été fait dans votre étude une procuration pour une personne qui avait charge, en vertu de cet acte, de se rendre à Saumur dans le but d’effectuer un payement, selon toutes probabilités ?

— Quel est le nom du mandant ?

— Je l’ignore. »

Le notaire eut un vif mouvement de surprise.

« Donnez-moi tout au moins celui du mandataire.

— C’est que… fit Pierre avec un sourire embarrassé, je ne le connais pas non plus.

— Mais, alors, monsieur, comment savez-vous qu’une procuration a dû être donnée à cette époque ?

— Comment je le sais ? voici. »

Et, pesant ses expressions, tremblant d’en trop dire, Marcenay raconta la moindre partie de l’histoire, celle qui se rapportait au retard survenu, à sa cause et à ses suites, à la personnalité de l’inconnu, à sa hâte de quitter Thouars, bien qu’il fût à demi mort ; à l’ignorance où les gens de l’hôtel étaient restés, quant à son nom et à sa résidence habituelle.

« Et c’est cet homme que, dans son intérêt, il faut que je découvre », conclut-il.

Le notaire objecta :

« Quand nous constaterions sur les livres de l’étude la trace de procurations données aux environs de cette date, — et… vous savez, jadis le répertoire n’était pas tenu à jour avec le soin que nous y apportons actuellement, — qu’est-ce qui nous indiquera qu’il s’agit de votre inconnu ?

— Rien, c’est évident. Mais, après vous, je verrai vos confrères. Je prendrai le nom de tous les gens ayant reçu à cette époque un pouvoir de quelqu’un ; j’irai à chacun d’eux et je lui demanderai : « Est-ce vous qui étiez tel jour à tel endroit et à qui est survenue telle aventure ? » On peut bien supposer qu’à la fin l’un répondra oui.

— On le peut… si on écarte certains aléas. En vingt-cinq ans, il se passe bien des choses.

— Oui ; les uns meurent, les autres quittent le pays… Que voulez-vous ? Je crois m’être arrêté au seul parti ayant quelque chance d’aboutir… J’accomplis une mission dont je ne peux plus être relevé par celui qui m’en a investi, prononça Pierre lentement, en regardant son interlocuteur droit dans les yeux ; une mission de justice… de réparation… Je n’en saurais dire plus.

— Cela suffit, monsieur, repartit maître Réhot, à qui, de prime abord, la physionomie ouverte de Pierre avait été sympathique : nous nous mettrons à l’œuvre quand il vous plaira.

— Dès après déjeuner, si votre temps n’est pas pris.

— Je suis libre jusqu’à cinq heures.