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P. PERRAULT

Il rentra dîner vers sept heures et passa la soirée au coin de son feu à lire.

Il avait l’esprit moins troublé, étant résolu d’interrompre ses démarches, quoi qu’il sortît des recherches de maître Réhot, et d’aller à Dracy se renseigner lui-même sur les racontars obscurs de sa tante.

Il se coucha vers onze heures et s’endormit presque tout de suite.

Un bruit singulier l’éveilla comme trois heures du matin sonnaient.

On frappait des coups secs, régulièrement espacés, contre le mur de sa chambre, tout proche de la cheminée.

Après deux ou trois minutes, les coups cessèrent. Une voix lente, un peu sourde, au timbre morne, prononça :

« Pierre Marcenay, m’entendez-vous ?

Il se souleva sur son coude et s’informa, encore à moitié endormi :

« Qu’y a-t-il ? qui m’appelle ? »

On ne répondit point.

« J’aurai rêvé », se dit Pierre.

Et, maugréant de sa sottise, il remit la tête sur l’oreiller.

Mais il n’avait pas fermé les yeux que les coups recommençaient, espacés comme la première fois.

Et, de nouveau, la voix s’éleva :

« Pierre Marcenay, écoutez ce qui va vous être dit. »

Au lieu d’obéir, celui-ci alluma sa bougie, se vêtit à la hâte et courut à la cheminée.

Rien de suspect…

Cinq minutes s’écoulèrent dans le plus profond silence. Puis les coups avertisseurs re prirent, et, de nouveau, la voix s’éleva, mais plus sourde, plus lointaine, comme si l’on eût parlé en s’éloignant.

Ce fut pour commander :

« Partez pour Paris ; allez voir M. Philippe Aubertin : vous saurez tout.

— Qui êtes-vous ? d’où me parlez-vous ? Pourquoi me donner cet avis de façon mystérieuse ? Quelle raison de vous cacher pour me rendre ce service ? » interrogea Pierre d’un ton rapide, plus pressant, plus impérieux à chaque question.

Mais il eut beau attendre, questionner encore, plus rien que sa propre voix ne troubla le silence autour de lui.

« Ah ! par exemple, je veux en avoir le cœur net », s’écria-t-il.

Et, allant aux placards qu’il ouvrit brusquement, il promena la lumière à l’intérieur.

Les rayons du premier étaient tapissés de papier bleu, sans une déchirure ; mais le portemanteau du second retombait, arraché d’un côté, et laissait voir un petit trou par lequel venait un peu d’air : la place de la patte.

« C’est de là qu’on a parlé, se dit Pierre ; nul doute ! Il s’agit de savoir ce qu’il y a derrière cette cloison et qui a pu avoir accès par là. Devrais-je parcourir tous les recoins de l’étage, je veux l’apprendre. »

Il mesura, en comptant ses pas, la largeur de la chambre ; puis il sortit, recommençant de compter à partir du seuil.

Au premier couloir transversal, il tourna. Vers le milieu, une porte était ouverte : il la franchit et se vit dans une lingerie qui prenait jour seulement par la toiture et les œils-de-bœuf du grand corridor.

Il recommença de compter ses pas. La longueur de la lingerie ne donnait point le développement voulu ; il s’agissait d’aller au delà : rien de moins malaisé ; une seconde porte faisait face à la première.

Mais, comme il tirait celle-ci à lui, un courant d’air faillit éteindre sa bougie, et il s’aperçut qu’il posait le pied sur un large palier auquel s’appuyait une sorte d’échelle aboutissant aux faux greniers qui régnaient sur le devant du vieux logis.

Un escalier ! tout le monde y peut passer : la place était bien choisie. Les enduits, partout dégradés, rendaient impossible de distinguer la fente correspondant au placard.

Celui qui avait conçu ce plan habile devait posséder à fond les détails intérieurs de l’hôtel ; ou bien alors… quoi supposer ?…

Pierre reprit tout pensif le chemin de sa chambre. Une chose le surprenait presque autant que cette intervention bizarre : c’est le nom de M. Aubertin mêlé à tout cela.