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ANDRÉ LAURIE

devoir de fouiller ses poches pour y chercher des friandises qu’elle ne manquait jamais d’y trouver, — Mlle Hardouin étant une jeune personne très pratique et, sous des dehors frivoles, pleine d’infiniment de bon sens…

Dès le matin, la famille anxieuse attend, ne pouvant se livrer à aucune de ses occupations habituelles. M. Massey erre comme une âme en peine du jardin à la maison, du salon à la chambre de sa femme, répétant cent fois la même question, s’étonnant du retard du docteur, exprimant la crainte qu’il ne lui soit arrivé un accident… Avec une patience inaltérable, Mme Massey lui répond, tache de calmer la nervosité qui l’agite, si belle et si touchante dans sa pâleur, sous sa couronne de cheveux de neige, que Colette et Lina ne peuvent retenir leurs larmes en la regardant. Gérard s’est posté à côté de sa mère chérie, et, lui tenant les mains, les serrant avec une force dont il n’est pas conscient, il s’essaye bravement à plaisanter, à rire comme d’habitude ; mais Mme Massey n’est pas dupe, entend le tremblement de sa voix, lit mieux qu’avec ses yeux l’émotion peinte sur son visage… Henri est assis près de la porte dans la chambre de sa mère, le front contracté, l’œil fixé sur sa montre ; il ne peut ni dire un mot, ni faire un mouvement ; ah ! si c’était lui qui dût subir l’opération, sentir les cruels instruments d’acier s’approcher du globe de ses yeux !… ces yeux, cet organe si sensible, que l’effleurement d’une aile de papillon froisserait, et qu’il faut se résoudre à voir entamer par le féroce bistouri… Le Guen s’est chargé de Tottie ; jugeant avec raison que le va-et-vient de la petite ne pourrait que gêner, dans l’attente cruelle qui étreint tous les cœurs, il la prend dans ses bras et l’emporte au jardin — si large pour Paris, si minuscule comparé à l’immensité du weldt — où le bon Goliath rêve, l’œil mi-clos, visité chaque jour par tous ses amis, et repassant sans doute dans son large, cerveau d’éléphant les événements variés de sa longue carrière… Il reçoit ses visiteurs en frétillant gaiement de la queue, et Tottie, assise et maintenue par l’excellent Le Guen sur une des formidables défenses, gazouille comme un petit oiseau et conte à son formidable ami mille histoires qu’il entend à merveille, à en juger par l’expression de son œil sagace et luisant…

Mais le timbre de la porte d’entrée a retenti d’un coup sec. Martine se précipite, sa bonne face ronde toute pâle d’émotion, et introduit le docteur Kœrig, qui arrive avec une exactitude militaire, portant à la main le terrible écrin de maroquin noir…

Le médecin paraît transformé ; il n’a plus son allure hésitante, gauche et timide de chaque jour : sa taille s’est redressée, sa voix est brève et tranchante ; une expression de commandement se lit dans son regard tandis qu’il donne brièvement ses instructions, fait disposer les rideaux, les sièges, les tables selon ses besoins dans la vaste pièce.

Tous ces arrangements pris, il se tourne vers Colette et Lina, appuyées, plus blanches que des cierges, au dossier du fauteuil où s’est assise Mme Massey.

« Et maintenant, mes chères enfants, prononce-t-il d’un ton qui n’admet pas de réplique, vous allez, s’il vous plaît, passer dans la chambre voisine…

— Oh ! docteur !… Cher docteur ! ne pouvons-nous rester auprès de maman ?…

— Non, mes enfants. Absolument impossible.

— Mais elle préférera…

Mme Massey a donné trop de preuves d’un grand courage pour que je ne lui en demande pas une nouvelle. Elle voudra bien se confier à moi et à mon excellent confrère Lhomond à l’exclusion de toute autre personne…

— Comment, cher docteur !… s’écria M. Massey. Mais moi, du moins…

— Vous comme les autres ; comme vos filles, comme vos fils, comme Martine elle-même qui est trop de la famille pour que je puisse la garder, dit le médecin avec un bon sourire à l’adresse de la brave servante, qui lève les bras en l’air. Songez que j’ai besoin de tous mes moyens — de tous, entendez-vous bien, et que les membres de la famille, quels que soient d’ailleurs leur courage et leur sang-froid, sont susceptibles de s’affoler au moment