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COLETTE EN RHODESIA

critique… Pendant une opération que je faisais, un jour, le mari de l’opérée ne s’avisa-t-il pas de tomber en syncope sur son lit, au plus beau moment ?… Allons, n’insistons pas, ajoute-t-il avec un regard significatif vers Mme Massey, dont les doigts entrelacés se tordent légèrement sur ses genoux. Confiez-nous votre chère malade et que tout s’accomplisse dans les meilleures conditions, n’est-ce pas ?

— Oh ! si nous lui faisions mal en effet, par notre présence, s’écrie Colette. Viens, Lina ! venez, cher père. Venez tous… Courage, maman chérie !… dans quelques instants vous allez nous revoir tous… »

Elle couvre de baisers le front et les mains de Mme Massey, qui sourit bravement, et elle entraîne tous les autres. Ils sortent, et, assis ou agenouillés dans la pièce voisine, ils attendent, le cœur palpitant, serré d’angoisse, le résultat de ces minutes si brèves et qui leur paraissent si longues.

Dans la chambre close et paisible, l’opérateur a placé la malade sur un grand fauteuil, exposée au puissant rayon d’une lampe à réflecteur garni d’une lentille ; il interroge longuement les beaux yeux sans regard. À portée de sa main s’allongent les petits outils terribles, d’acier luisant, de lame effilée, dont la vue seule glace le sang dans les veines quand on pense à leur destination présente. Le médecin se lave les mains dans une forte solution d’eau et de sublimé : il y plonge ses outils ; puis, aidé du docteur Lhomond, il fait pleuvoir sur les deux yeux une couche de bienfaisante cocaïne : le globe de l’œil est complètement insensibilisé. Saisissant un instrument, l’opérateur attaque…

La voix de Mme Massey s’élève, calme et légèrement surprise :

« Eh bien, docteur, dit-elle, vous ne commencez donc pas ?… »

Les deux médecins échangent un sourire, et rapide comme l’éclair, légère comme un souffle, la main secourable continue son œuvre…

Colette et Lina, dans la chambre voisine, demeurent enlacées, le cœur tour à tour glacé d’épouvante et réchauffé d’espoir… Comme c’est long… il y a des heures, n’est-ce pas, que cette porte s’est refermée sur elles ?… Que se passe-t-il ?… Quel silence !… Quand donc le docteur Kœrig reparaîtra-t-il pour leur annoncer que tout est bien fini ?… Oh ! pouvoir être là, tenir les mains de la pauvre martyre, lui faire partager l’émotion, sentir la tendresse qu’on éprouve !… subir les mêmes alternatives d’angoisse et d’espérance, recevoir enfin le premier regard de ses yeux !…

Et tout d’un coup un cri retentit, vient les prendre aux entrailles, derrière la porte où elles sont tombées agenouillées, les mains jointes…

« Docteur !… docteur !… je vous vois… »

D’un élan, les pauvres enfants ont franchi le seuil. Elles sont venues se jeter aux genoux de Mme Massey, couvrent de baisers et de larmes ses mains, sa robe, et la pauvre mère rayonnante, transfigurée, voit ses enfants, et ses fils, son mari accourus autour d’elle…

Mais ces effusions pourraient être dangereuses : d’autorité, le chirurgien renvoie tout le monde, recouvre d’un bandeau les yeux meurtris, règle à voix basse avec le docteur Lhomond tous les détails du traitement, la somme de lumière bien atténuée, bien voilée, qu’on permettra par degrés jusqu’au raffermissement complet des organes. Puis, après avoir une dernière fois serré les mains de sa patiente, l’avoir félicitée de son courage, il sort pour recevoir les remerciements entrecoupés de toute la famille.

Avec quelle vénération on écoute ses paroles, avec quelle enthousiaste affection on prend ses mains secourables ! Comme tous sont suspendus à ses lèvres, tandis qu’il prononce que Mme Massey pourra enfiler l’aiguille la plus fine ou lire le texte le plus minuscule…

« Et ce sera fini ?… bien fini ?… plus d’inquiétudes à avoir ?… Ce cauchemar vraiment évanoui ?… ne se lasse de questionner Colette.

— Il n’y a plus aucune raison de craindre un retour offensif du mal, répond le chirurgien. La cataracte peut être considérée comme un simple accident ; et, une fois enlevée, il n’existe aucune probabilité qu’elle reparaisse. Mme Mas-