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ANDRÉ LAURIE

s’écria M. Massey en s’essuyant les yeux. Ah ! faut-il que l’ambition et la rapacité humaines soient assez fortes pour armer contre des gens pareils un pays fort, un pays libre, aux annales glorieuses que ses enfants auraient dû rougir de souiller par cette guerre impie ?…

— Tous les amis de l’Angleterre doivent regretter l’impasse où elle s’est jetée à la légère, déclara le docteur Lhomond. Mais, la lettre de lady Theodora en fait foi, ils sont arrivés à se persuader que le bon droit est de leur côté, et qu’ils ne font que châtier des sujets rebelles…

— J’ai reçu, dit Henri qui avait écouté en pâlissant la lecture de la lettre de Nicole, un autre message de la Société de géographie, qui me demande une conférence sur la guerre sud-africaine. Si tu me le permettais, chère sœur, je leur lirais quelques passages de cette lettre…

— Alors tu as accepté ? s’écria Gérard les yeux brillants.

— Naturellement. Je ne me crois pas le droit de me récuser. Et je considère comme un devoir pour tout homme civilisé de faire connaître le véritable état de la question, dans la mesure de ses forces. Puisque les circonstances ont permis que nous assistions de près au début des hostilités et que nous nous trouvions, en amis des deux camps, sur les premiers champs de bataille, mon devoir est de faire part au public du résultat de mes observations, puisqu’il me le demande.

Chic ! chic ! s’écria Gérard en frappant des mains, oublieux de la dignité de ses vingt-trois ans. C’est dommage qu’ils ne me l’aient pas demandée à moi, leur conférence !… Ils en auraient eu une chouette, je vous le garantis…

— Très impartiale, surtout ? fit le docteur Lhomond en souriant.

— Impartiale ?… Eh ! qui se soucie d’impartialité, je vous prie ?… Voilà une vertu dont je ne me pique guère, ma parole !… Et je me souviens avoir lu dans je ne sais plus quel grave bouquin — de Macaulay, je crois bien — qu’un homme absolument impartial, ou complètement dénué de préjugés, serait un monstre, un lusus naturae… Je souscris absolument à cette opinion…

— Je me flatte, dit posément Henri, de montrer de quel côté sont la justice et la vérité, rien qu’en rapportant les faits et sans faire le moins du monde entrer en ligne mes sentiments personnels.

— Ça, nous en sommes tous persuadés ! » s’écria chaleureusement Gérard.

C’est ainsi que, par une belle soirée d’automne, quelques jours plus tard, tous nos amis se trouvaient réunis boulevard Saint-Germain, dans cette salle des conférences de la Société de géographie qui a vu passer tant de hardis explorateurs, pour écouter la causerie de Henri sur la situation au Transvaal.

La physionomie énergique du conférencier, encadrée comme assesseurs par Martial Hardouin et son frère Gérard, lui vaut tout d’abord les sympathies de l’auditoire, qui ne peut s’empêcher de préjuger qu’un trio si bien doué au physique doit l’être également au point de vue intellectuel ou moral… La parole sobre et élégante du jeune orateur, l’ardente conviction qui perce sous la concision de ses phrases, le feu contenu qui anime son regard et vibre dans sa voix, achèvent de conquérir ce public d’élite. Et si l’on eût ouvert, au sortir de la conférence, un registre d’engagements volontaires pour courir au secours des Boers, nul doute que ce registre ne se fût couvert de signatures.

Car, est-il besoin de le dire ? les sympathies de l’auditoire sont acquises à la cause boer.

Tenu sous le charme de sa parole, il écoute l’exposé magistral que le jeune orateur lui fait de la situation. Ses moindres aperçus sont soulignés d’un murmure approbateur ; sa conclusion est couverte d’applaudissements. En quittant le boulevard Saint-Germain, chacun se sent animé d’un plus vif intérêt pour les Républiques, d’une indignation plus grande pour la folie homicide qui pousse l’Angleterre et la fera bientôt peut-être rouler au fond de l’abîme…

Henri Massey estime que la guerre faite aux Boers est absolument injuste. Cette guerre est ruineuse pour la Grande-Bretagne et marquera inévitablement le point de départ de la décadence de l’Empire britannique — cet Empire où le soleil ne se couche jamais — comme les