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P. PERRAULT

Et, leur présentant son livret militaire :

« L’opinion de mes chefs vous aidera à former la vôtre à mon égard », ajouta-t-il.

Elles le parcoururent attentivement, puis la religieuse le rendit à Marcenay avec un sourire approbateur.

« Tous mes compliments, monsieur, dit-elle ; vous pouvez emmener le petit, n’est-ce pas, Catherine ?

— J’en suis d’avis, ma Mère, et je pense que c’est Dieu qui a mis M. Marcenay sur le chemin de mon ami Greg. »

Aimablement, en femme qui connaît la valeur des choses, la supérieure offrit alors au jeune homme de lui faire visiter l’hôpital.

« Il date du XVe siècle, expliqua-t-elle. Il est classé comme monument historique. On l’admire beaucoup d’ordinaire. Aucun touriste ne passe dans notre ville sans venir chez nous. En même temps que l’immeuble, une ancienne demeure seigneuriale, nos bienfaiteurs ont légué aux dames hospitalières de Beaune tout l’ameublement. Nous possédons des tapisseries d’une grande valeur, des bahuts sculptés qui sont des chefs-d’œuvre, des tableaux de maîtres… Venez, monsieur Marcenay, je vous montrerai tout cela. Veux-tu nous accompagner, petit Greg ? ajouta-t-elle avec bonté.

— Merci bien, madame, fit naïvement le gamin ; j’aime mieux causer avec Catherinette. »

De fait, il en devait être fort impatient, car, à peine la porte refermée sur Pierre et sa conductrice, posant la main sur celle de sa vieille amie, de la colère tout plein ses yeux noirs, il articula :

« Si vous saviez qui j’ai rencontré à Dôle !

— Pas quelqu’un qu’il te faisait plaisir de voir, à en juger par ta frimousse courroucée, répondit-elle en riant.

— J’ai rencontré le comte de Trop », murmura l’enfant, dont la voix s’étranglait dans sa gorge à prononcer ce nom.

Catherine eut un geste de stupeur.

« Où ça ? Comment sais-tu que c’est lui ?

— Il est sous-officier dans le régiment de M. Marcenay. Ils sont si amis qu’on dirait deux frères.

— C’est d’enfance, cette amitié-là, observa Catherine pensive. Marc parlait toujours d’un Marcenay qu’il préférait à tout le monde. Est-ce curieux que ce soit justement lui qui t’ait pris sous sa garde ?

— Ils dînaient au buffet de la gare avec d’autres militaires de leurs camarades. Ils m’ont invité. Mais je ne savais pas… On ne l’avait pas nommé devant moi, sans ça, vous pensez bien, Catherinette !… M’asseoir à la même table que le comte de Trop ! J’aurais mieux aimé endurer la faim jusqu’à en mourir ! Quand même il m’avait aidé à rassembler mes oies, une fois que j’ai su son nom, je ne lui ai plus parlé. Non ; pas même pour lui dire adieu !

— Il n’est cause de rien. Ne sois pas injuste, Greg ; ne lui fais pas porter la faute des autres. S’il n’a pas changé, il doit être doux comme un agneau. Et, à ce sujet, rappelle-toi, mon petit, que la volonté de ton grand-père est qu’il ne soit point parlé de ça jamais ! Il a voulu le silence jusque sur sa tombe, où, pour lui obéir, mon père n’a fait mettre que le nom sous lequel il était connu aux Égrats : « Jean ». C’est pour ensevelir son secret avec lui qu’il a détruit tous vos papiers de famille. Et cela, il l’a fait dans ton intérêt, Greg, pour que tu ne sois point chargé du fardeau qu’il n’a déposé qu’à la mort et qui a été son martyre si longtemps. Sans la mère Norite, tu aurais tout ignoré et cela eût mieux valu. Elle était seule au courant de ces choses avec mon père et moi. Ce n’est pas nous qui t’en aurions parlé. Elle a eu tort, la chère femme, de confier des affaires si graves à un enfant de dix ans. Tu n’avais pas davantage !…

— Ne la blâmez pas, Catherinette, interrompit Greg avec vivacité. Elle croyait bien faire, et, de vrai, je pense qu’elle a bien fait. C’est au moment où j’ai eu besoin de mon extrait de naissance et de baptême pour l’inscription au catéchisme. Ma première communion venant par là-dessus, j’ai pris de la raison plus que mon âge. Parler de ça ?… non,