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COLETTE EN RHODESIA

félicitations que Goliath paraît parfaitement comprendre et qu’il reçoit en bon prince.

Mais soudain Colette jette un cri :

« Mon pauvre Goliath !… Il est affreusement brûlé !… Et moi qui ne songeais pas à me demander comment il s’est évadé !… Mon pauvre ami !… mon cher Goliath !… Voyez, Théodora… vois donc, Gérard, ces restes d’entraves à ses jambes, et ces cruelles brûlures… Et lui qui ne se plaint pas !… qui ne songe qu’à nous faire fête !…

— Il s’est évidemment approché du feu de bivouac pendant que ses gardiens dormaient et, sans reculer devant le dommage personnel qu’il y trouvait, il a brûlé ses entraves, après quoi il a pris la clef des champs, dit Gérard, le flattant de la main. Brave bête, va !… nous n’attendions pas moins de toi !

— Cela n’a pas l’air de vous étonner, les uns ou les autres, dit lady Théodora ; savez-vous que c’est merveilleux ce qu’a accompli cet animal !…

— Bah ! il en a fait bien d’autres en sa vie ! Nous sommes habitués à le voir agir en toute circonstance comme un être raisonnable.

— Et vous pouvez ajouter, sans exagérer, comme un être d’une sagacité inouïe !…

— C’est Mauvilain qui doit avoir un nez ! dit Gérard, riant de bon cœur.

— Ah ! le méchant homme ! s’écria Lina, rose d’indignation. S’il est désappointé, il ne l’aura pas volé !… Vous avez entendu les plaintes de Tottie, tout hier ? Cela perçait le cœur !

— Ne soyons pas trop durs pour lui, puisque nous avons recouvré notre ami », dit Mme Massey ; elle arrivait la dernière, portant dans ses bras la fillette qui, passant soudain du premier sommeil à l’état le mieux réveillé du monde, demandait à grands cris son éléphant et lui offrait une ovation triomphale. Il fallut sur le champ exhiber le hamac, le suspendre à sa place habituelle, — les défenses qui, tant de fois, l’avaient portée — et tandis que les deux amis faisaient entendre un duo ravi, roucoulant, gazouillant à cœur joie, Colette avait prestement ouvert la boîte de pharmacie et appliquait de l’acide picrique sur les brûlures de Goliath ; tout à la joie de retrouver sa Tottie, il ne semblait même pas s’apercevoir ou qu’il eût des brûlures ou qu’on lui fit subir un pansement pénible.

Les effets bienfaisants et rapides de ce pansement ne tardèrent guère d’ailleurs à se montrer, et lorsque quatre heures se marquèrent à l’horloge du ciel et au chronomêtre de M. Massey, toute la troupe était prête à se mettre en marche, Goliath aussi dispos, aussi ingambe et infiniment plus rapide, si la chose eût été nécessaire, que le meilleur cheval de la caravane.

Les jours suivants passèrent sans offrir d’accidents ou d’incidents, ou du moins celui qui avait signalé la seconde nuit fit paraître fades tous les autres. Pendant quatre journées, le voyage et les haltes se succédèrent avec des intervalles rigoureusement déterminés.

Enfin les abords de Masseydorp se dessinent et les voyageurs poussent un hourrah ! qui bientôt, hélas, se change en consternation. Sur cette vaste étendue où le travail et la persévérance avaient créé une sorte de paradis terrestre, il ne reste que des ruines ! Les cultures saccagées et brûlées, les vignes arrachées, les arbres fruitiers dépouillés, les fleurs des pelouses détruites annoncent de loin le passage des Vandales. Indigènes, métis, noirs, blancs, qui pourrait dire ? En tout cas, ils n’ont rien laissé debout sauf les murs de la maison. Vingt jours de guerre ont suffi pour effacer l’œuvre de cinq années de paix laborieuse…

On ne perd pas de temps en vaines lamentations, on délibère promptement. Que faut-il faire ? Gagner à rapides journées le havre portugais où stationne le yacht de lord Fairfield et où il offre à tous l’hospitalité ? Puis, à Aden, prendre un paquebot pour l’Europe ? Ce serait le parti que tous embrasseraient volontiers. Par malheur, l’état de lord Fairfield lui-même s’est aggravé au courant de ces fatigantes journées ; le repos lui est impérieusement commandé.

Dans ces conjonctures, Martial Hardy propose un campement général à la Tour phénicienne. D’un temps de galop, il s’est transporté sur les lieux, s’est assuré que là, du