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DES AUTOMOBILISTES TROP COMPLAISANTS

— Ah ? Je n’ai pas pris ma casquette, c’est pour cela que je n’ai pas vu ton mot. Donc, je ronchonnais. (Un autre soulier, d’un autre côté de la chambre.) Je m’habille, je descends et je prends mon café au lait. On me dit que tu es sorti ; alors, je sors aussi et je dirige mes pas vers les quais. Tout à coup, je vois à quelques pas de moi… Aïe ! Aïe ! Que cette eau est chaude ! (Arthur, qui entrait dans son bain, se mit en devoir d’ajouter un peu d’eau froide) … des espèces d’Anglais dans une auto qui cherchaient leur chemin. Ils me regardent, je les regarde. Ils avaient des lunettes bleues, de grands vêtements en cuir, des casquettes idem. Aoh ! me dit l’un d’eux, paouvez-vous dire à nous le chemin de Cancale ? — Cancale, le pays des huîtres. — Aoh yes oui, pâfaitement. — Eh bien ! vous êtes sur la route, suivez tout droit et vous y serez dans une heure et demie environ.

— Comment savais-tu tout ça ? demanda Charles.

— Je le lisais sur une plaque, au coin de la rue… Ils me répondent en anglais. Je fais signe que je ne comprends pas. Alors celui qui n’avait pas ouvert la bouche jusqu’ici m’explique, dans un baragouin anglo-français, que si je voulais leur montrer le chemin jusqu’à Cancale, je pourrais monter en auto, qu’ils devaient être de retour pour midi à Rennes. Ma foi, l’offre était tentante, je saute dans l’auto et nous filons.

— Mon Dieu ! Quelle imprudence ! s’écria Charles.

— Eh oui ! tu vas voir. La machine était bonne, nous marchions à une vitesse folle ; aussi inutile de me demander comment est le pays. Je n’ai aperçu que des silhouettes d’arbres, de vagues rivières, de vagues ponts… Les kilomètres filaient.

— Mais tu étais absolument fou de suivre ainsi des inconnus ! dit Charles en laissant paraître la plus vive contrariété.

— Attends donc… (Arthur s’enveloppait dans un peignoir et frottait ses cheveux ruisselants d’eau.) Nous atteignons Cancale. Il n’y a qu’une grande rue avec des maisons aux larges toits et aux petites fenêtres. Un des Anglais propose de déjeuner, et nous entrons dans une espèce d’auberge où l’on nous sert une omelette, des huîtres, du lard, des choux et du cidre. Comme les Anglais m’avaient fait faire une belle promenade, je leur offre le déjeuner.


arthur raconta son histoire tout en se
baignant.

— Il t’a coûté cher ?

— Non, trente-cinq francs. Mais en tirant mon argent, je leur dis : « Ça, c’est mon argent de poche à moi : mais c’est mon camarade qui a la caisse. » La caisse ? Ils ne comprenaient pas. Ils prononçaient la « caisse » d’un ton si comique que je me tordais de rire.

— Oui, tu avais certainement bu trop de cidre.

— Mais non. Je leur explique ce que c’est qu’une « caisse ». Ils rient, puis nous remontons en auto pour rentrer. Nous allions moins vite. Tout à coup, la voiture s’arrête. Une panne, un des Anglais descend, moi aussi. Nous examinons la voiture. Il n’y a rien. Attendez… Tout à coup l’Anglais bondit dans l’auto, et avant d’être revenu de ma stupeur, je le vois disparaître avec son acolyte au bout de la route.

— Et tu restais la poche vidée de ton portefeuille ?