Page:Magre – Conseils à un jeune homme pauvre qui vient faire de la littérature à Paris, 1908.djvu/46

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Le parfum de la benzine s’élèvera de tes gants nettoyés.

Tu chercheras en vain celui que tu avais reconnu comme un homme de ta race, pour t’affliger avec lui de la stupidité immense des gens du monde. Trop tard ! il aura déjà fui.

Crois-moi. Gagne alors le buffet. Ces petits avantages que sont le vin et les gâteaux t’y attendent. L’être grossier qui est en toi pourra se dire que la soirée n’a pas été absolument perdue si le champagne était bon. C’est une curieuse illusion qui te fait croire que le maître d’hôtel te suit de l’œil et compte ce que tu prends. Cet homme solennel est sans ironie et pourquoi serait-il avare de richesses dont il dispose, mais qui ne sont pas les siennes ?

Il sera deux ou trois heures du matin quand tu sortiras. Les voitures, la nuit, coûtent un prix exorbitant. Tu rentreras tristement à pied. Mais, à mesure que tu t’éloigneras, tu t’apercevras que ton pas résonne avec autorité dans la rue vide, ton habit retrouvera son prestige perdu, tu entr’ouvriras même ton pardessus pour qu’un passant l’aperçoive et ait une haute idée de cette élégance.

La fatigue, le champagne et ta jeune imagination te donneront le sentiment d’une vie mondaine de plaisirs. Et malgré tes déboires, quand tu arriveras à ta porte, tu sonneras avec un certain orgueil et la négligence du noceur blasé.