Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1844, I.djvu/267

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dues, et, de tous côtés, des eaux fraiches et limpides qui serpentent partout. Il y a des prairies qui font avec la ligne d’aplomb un angle de 12 à 15 degrés ; on est obligé d’attacher avec une corde l’homme qui les fauche. C’est précisément ce qui fait le charme de notre pays, qui n’est beau malheureusement que par le contraste qu’il présente, lorsque dans les plaines voisines les sources tarissent, et que les champs sont brûlés par les feux du soleil ; dans les autres saisons de l’année, convenons-en, il faut être né dans nos montagnes pour y habiter et s’y plaire.

J’ai dit que dans les Cévennes chacun avait de l’eau dans son voisinage ; sans doute le premier établissement d’un village, d’une maison de campagne, fut fait près d’une fontaine existante ; mais les paysans connaissent très-bien s’ils ont des sources dans leur propriété. D’après l’aspect des lieux, la nature du sol, son humidité et les vapeurs qui s’en élèvent, les plantes qui y croissent, et quelquefois sur des indices moins sensibles, ils se mettent à fouiller, et c’est toujours en été qu’ils font ces travaux, bien assurés qu’ils ne seront pas trompés par les apparences. Lorsqu’un filet d’eau suinte sur le penchant d’une montagne et sort par les fentes d’un rocher, ils savent très-bien le chercher et le faire sortir plus haut : et s’ils peuvent l’amener sur une terre susceptible de culture, ils en font un jardin ou un pré, selon qu’elle est plus ou moins éloignée de leur demeure.

Il arrive quelquefois qu’on va chercher l’eau fort loin. Lorsqu’il y a une bonne source au milieu des rochers, le Cévennois la conduit par de longs détours pour ménager la pente ; il creuse la terre, casse les rochers qui se trouvent sur son passage ; il la maintient, s’il le faut, au-dessus du sol au moyen d’un petit mur recouvert de tuiles. J’ai vu que pour abréger le chemin, ou pour traverser un torrent, on faisait couler l’eau dans une gouttière faite d’un tronc d’arbre. Me pardonnera-t-on ce rapprochement ? je trouve ici une image, bien minime, à la vérité, d’un travail immense exécuté par les Romains dans ce département[1].

Olivier de Serres indique la manière de rechercher les fontaines, de faire ces tranchées souterraines que nous appelons valaratie, qui, s’écartant dans tous les sens, réunissent les eaux dans une tranchée principale, « comme les racines des arbres sont » escartées dans terre en divers endroits et « de toutes ensemble s’en forme le tronc. » Il décrit les bâtimens qui reçoivent les eaux, les serves, les tuyaux de conduite, exactement comme s’il écrivait aujourd’hui ce qui se pratique dans les Cévennes.

Les fontaines des Cévennes près des habitations sont couvertes de treilles, ombragées d’arbres et enfermées dans une maisonnette ou une niche, afin que les animaux n’aillent pas y boire ou s’y tremper. L’eau qui en coule est reçue dans une auge le plus souvent creusée dans un tronc d’arbre (fig. 369), ou dans un réservoir pour l’usage des animaux et pour laver le linge. On la conduit de là, par des rigoles creusées dans la terre, partout où elle est nécessaire.

Les fontaines plus particulièrement destinées à l’arrosement coulent dans un réservoir plus ou moins grand, qui, lorsqu’il est plein, déverse par des canaux dans d’autres réservoirs inférieurs, à une certaine distance les uns des autres. Nous les appelons tampo ou gourgo ; pesquié, lorsqu’on y tient du poisson ; boutade, s’ils sont destinés à faire aller un moulin.

Ces réservoirs sont ordinairement adossés à la montagne et sont alors formés d’un côté par le rocher même d’où sort la source, et des autres côtés par des murs en maçonnerie ou en pierres sèches, c’est-à-dire sans chaux, ou en terre battue ; je dirai plus bas comment on opère pour la le rendre imperméable à l’eau.

Les réservoirs ou bassins en maçonnerie sont les plus chers à cause du prix de la chaux dans nos montagnes schisteuses ou granitiques. Pour l’économiser, on bâtit quelquefois un mur trop mince pour soutenir la poussée de l’eau, à un demi-mètre de distance on en fait un second en pierres sèches, et l’on remplit l’intervalle en terre battue (fig. 370). Au lieu de faire un glacis dedans, on pave le fond en larges pierres dont les joints seulement sont garnis de mortier ou d’argile. Ces réservoirs ont le défaut d’être attaqués par la gelée qui soulève les enduits de chaux. Un ciment résisterait mieux ; mais pourquoi ferait-on plus de dépenses pour entretenir plein un bassin qu’on vide matin et soir, et lorsque l’eau est abondante ?

  1. Le pont du Gard, qui est une merveille, n’est qu’une faible partie d’un aqueduc d’environ 7 lieues, dont on suit les traces entre Nîmes et Usez, tantôt souterrain, tantôt taillé dans le roc, soutenu par des arches plus ou moins élevées et traversant le Gardon.