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chap. 12e
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CONSERVATION DES RACINES.

suffit de le voir manœuvrer le fléau : il lève cet instrument au moins 37 fois par minute pour le faire tomber avec un fort appui autant de fois ; s’il travaille 10 heures par jour, il frappe donc 22,200 coups avec un instrument assez lourd. Aussi ce ne sont que des hommes forts qui peuvent être employés à ce genre de travail ; et l’emploi des femmes ou même des hommes faibles n’est qu’exceptionnel, ce qui constitue un très-grand inconvénient de ce procédé, surtout dans les contrées où la population est clairsemée, et non moins dans les localités où les fabriques absorbent une grande fraction des ouvriers valides.

La lenteur avec laquelle s’effectue le battage au fléau est un autre grand inconvénient de ce mode. Il demande une surveillance journalière très-attentive, qui se prolonge pendant une grande partie de l’année, et qui, par cette raison, est coûteuse, sans pouvoir empêcher de nombreuses dilapidations et sans pouvoir garantir un égrenage parfait, attendu que l’ouvrier, quel que soit le genre de sa rétribution, n’a aucun intérêt à extraire le dernier grain de l’épi ; en effet, il gagne en faisant son travail d’une manière imparfaite, s’il est payé à la tâche ; et il ménage ses forces, s’il est soldé à la journée. L’esprit de corps qui règne parmi les ouvriers de tous les pays rend le contrôle, quant aux petites infidélités des batteurs à fléau, très-difficile.

Encore une des conséquences fâcheuses pour l’agriculteur, qui résulte de la lenteur de ce procédé, c’est qu’il ne peut pas disposer de ses grains quand il en a besoin, soit pour faire la semence, soit pour profiter des conjonctures commerciales, souvent aussi avantageuses que passagères.— Dans les localités où les ouvriers vigoureux n’abondent pas, le cultivateur est réduit quelquefois à la nécessité de subir des conditions très-onéreuses. — Le blé qui a souffert de l’humidité pendant la récolte, ou après, ne peut être sauvé par ce mode lent d’égrenage.

Le battage au fléau, en outre, ne brisant pas suffisamment la paille, l’apprête mal pour la nourriture des bestiaux, ce qui est l’usage le plus économique qu’on en peut faire dans la presque totalité des cas. Ce n’est que dans la proximité des grandes villes que la paille non brisée est recherchée pour la litière des chevaux de luxe et pour quelques fabriques. — Dans les localités où les bâtimens ruraux sont couverts en chaume, la paille longue est bien un objet de nécessité ; mais ce besoin n’absorbe qu’une petite fraction du produit total de la paille, et n’est pas par conséquent une raison suffisante pour maintenir le battage au fléau comme règle générale.

Cependant, malgré tous ces inconvéniens, le battage au fléau est préférable à tout autre mode d’égrenage, dans le centre et dans le nord de la France, pour les cultivateurs peu aisés, à cause de l’économie de ce moyen et de la facilité de limiter ses résultats aux besoins, aux travaux de la ferme. La petite propriété demeurera toujours son domaine, jusqu’à ce que l’usage des machines à battre transportables et mues par les bras des hommes, éprouvées en Angleterre, soit introduit en France.

Le fléau est un instrument composé de 2 bâtons attachés l’un au bout de l’autre au moyen de courroies. Ses formes varient beaucoup selon les pays : la plus ordinaire est celle représentée (fig. 469). Nous citerons encore le fléau usité dans les Landes (fig. 470). Dans quelques contrées, notamment dans l’ancienne Provence et le Dauphiné, on bat les grains, non plus au fléau, mais avec de longues gaules.

Plusieurs hommes peuvent battre ensemble sans se nuire, en se mettant deux par deux à quelque distance ; ils frappent alternativement et souvent en mesure, sur les gerbes étendues devant eux. Les coups portent dans toute la longueur des gerbes, afin que les épis des chaumes les plus courts soient égrenés comme les autres. Lorsqu’un côté est bien battu, un des batteurs retourne les gerbes, puis, après avoir battu ce nouveau côté, il délie les gerbes, en forme un lit de l’épaisseur de 4 à 6 pouces, qu’il bat et retourne encore avec le manche du fléau ; enfin, il secoue la paille toujours avec la verge du fléau, et la bat de nouveau. En sorte qu’une quantité de gerbes doit passer 8 fois sous le fléau, 2 avant d’être déliées, 4 après l’avoir été, et 2 lorsque la paille est secouée. On se dispense de ces 2 dernières façons lorsque le blé est bien sec, ou qu’on ne tient pas à ne laisser aucun grain dans la paille.

La paille battue est traînée, d’abord avec le manche du fléau, puis avec un râteau, dans un coin de la grange, où on en fait des bottes d’environ 12 liv. : 2 bottes de blé non battu n’en font guère qu’une de paille. Quand le tas de blé est assez considérable pour gêner le battage, on l’amoncèle dans un coin pour procéder, soit à la fin de la journée, soit a jour fixe, au vannage et au nettoyage. On appelle autons, blé chappé, blé vêtu, les grains qui ne perdent pas leur balle florale interne dans les opérations du battage et du criblage ; on les met généralement à part pour les donner aux volailles.

Un bon batteur peut battre complètement ou à net, par jour de travail, de 60 à 80 gerbes de froment, d’après les différens degrés de dessiccation et le poids différent des gerbes. — Du reste, la difficulté du battage varie à l’infini, en raison des années et des terrains de l’état dans lequel les céréales ont été rentrées, etc. Le seigle est plus facile ; le grain humide ou battu peu de temps après la récolte offre plus de difficulté ; on risque même quelquefois, dans les pays du Nord, d’écraser le grain, si l’on n’attend pas assez pour opérer le battage.

Quant au prix du battage au fléau comparé à la valeur vénale du rendement en grains, il diffère d’après les circonstances locales. Suivant les résultats recueillis par la