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liv. ier.
AGRICULTURE : CONSERVATION DES RECOLTES.

planches épaisses réunies par une traverse, armées à leurs extrémités de trois grandes fourchettes émoussées et aplaties, et de 6 plus petites. Cet appareil porte dans sa partie moyenne une planche double en longueur qui sert de limon, et pose sur la sellette d’un avant-train auquel elle est fixée au moyen d’une corde. Après avoir disposé les gerbes en rond sur une aire, on fait mouvoir circulairement cette machine attelée de bœufs, pour que l’extrémité des fourchettes, en traînant sur la paille, en détache le grain.

Dans quelques autres parties de l’Apennin et en Corse, on emploie, depuis un temps immémorial, pour l’égrenage, un moyen mécanique, appelé trity, beaucoup plus imparfait que le rouleau. C’est une sorte de battoir formé d’une pierre triangulaire, avec un limon attaché à la pierre au moyen d’une cheville. On fait passer circulairement cette pierre attelée de bœufs sur les gerbes. — Différentes sortes de rouleaux de dépiquage, ressemblant plus ou moins aux rouleaux italiens, sont d’un usage antique dans plusieurs départemens de la France, et nommément dans ceux de l’Aude, de l’Ariége, de la Haute-Garonne, du Lot-et-Garonne.

L’action sur la gerbe des rouleaux et des chariots à roues a beaucoup d’analogie avec le piétinement des animaux. Ces appareils ont cet avantage sur le piétinement, que les animaux, en traînant les machines, touchent à la fois une plus grande surface de blé répandu sur une aire, que quand les mêmes animaux exécutent le dépiquage par une seule partie de leur corps, le sabot. L’action du rouleau cannelé ou armé de barres a encore sur le piétinement l’avantage du soubresaut que le battage subit des barres cause au blé, et qui facilite tant la séparation du grain des épis.

Aussi l’usage du rouleau se maintient-il dans tous les pays où il est introduit. Ce sont les pays méridionaux qui de tout temps ont donné la préférence à cet appareil, par la raison que la dessiccation parfaite du blé en gerbes est une condition indispensable de l’efficacité du rouleau, et que là cette circonstance existe. De nombreux essais des rouleaux à dépiquer ont été faits dans différentes parties du nord de l’Europe ; mais nulle part leur usage n’a pu se répandre. Le battidore et le trity agissant par le moyen du frottement, l’efficacité de ces machines est bien inférieure, non seulement à celle des rouleaux, mais même au piétinement des animaux. Leur conservation dans quelques contrées prouve l’état très-arriéré de l’industrie agricole de ces localités.

Le système des rouleaux à dépiquer, tel que l’antiquité nous l’a légué, a éprouvé en France des améliorations notables. Dans le département de Lot-et-Garonne, on a, depuis à peu près 10 ans, substitué au rouleau de pierre massive un rouleau de bois cannelé. Il a beaucoup de rapport avec le rouleau italien. C’est un cylindre (fig. 472) cannelé, formé d’un tronçon d’orme, de frêne ou autre bois dur et pesant, qu’on choisit bien droit, et auquel on adapte 8 solives de même longueur. Pour le service de ce rouleau, l’aire est

Fig. 472.

chargée de gerbes disposées en spirale et posées à plat, de l’épaisseur usitée pour le battage au fléau. Quand le soleil a échauffé la paille, on commence par l’extérieur de l’aire en se rapprochant du centre, puis s’en éloignant, et ainsi successivement, jusqu’à ce qu’on juge convenable de remuer la paille. Un seul cheval traîne cette machine, servie par 1 conducteur, 1 ouvrier et 4 ouvrières, et elle peut battre 20 hectolitres de blé par jour. On conçoit que les traits du cheval doivent être inégaux en longueur et varier en raison du diamètre de l’aire. Cette machine exécute l’égrenage bien et à bon marché. Les frais du dépiquage, y compris le nettoiement, ne montent qu’à 55 cent. par hectolitre. L’appareil même ne coûte que 40 francs.

Cette machine à dépiquer a été successivement perfectionnée ou modifiée par M. de Puymaurin, par M. de Lajous : la Société d’agriculture de Toulouse en a fait construire une qui coûte de 120 à 150 fr. suivant les localités différentes, et qui a encore été modifiée par M. le comte Dupac-Bellegarde. Cet appareil est armé de 8 battans ; le tout est contenu dans un cadre ; il a aussi un avant-train avec un siège pour le conducteur. L’épreuve de cette machine a donné pour résultat : 17 journées de chevaux avec conducteur, et 85 journées d’ouvrier ont dépiqué 10,000 gerbes ; et ce travail est évalué à 223 fr. Ce même travail, exécuté au moyen du piétinement des animaux, aurait coûté au moins 430 fr. : donc il y a un profit des 2/3 du montant des frais à se servir du rouleau.