Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1844, I.djvu/470

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sortes qui s’affament et se nuisent réciproquement, mais on les fait pacager en tout temps, quels que soient d’ailleurs la nature et l’état du sol ; de sorte qu’au lieu de présenter une surface unie et partout verdoyante, ils se transforment, à l’époque des pluies, en cloaques fangeux, et n’offrent plus, au moment des sécheresses, qu’un amas irrégulier de mottes durcies et sans végétation.

De toutes parts on s’est élevé avec force, depuis l’introduction des prairies artificielles et des assolemens alternés auxquels elle a donné lieu, contre les pâturages communaux, et plus encore contre le droit de vaine pâture qui s’étend, après la récolte principale, à une foule de propriétés particulières non closes. — On a pu facilement démontrer que les pâtis, autrefois d’une importance réelle pour faciliter la multiplication des bestiaux alors que l’assolement triennal avec jachère laissait peu d’autres ressources, étaient devenus, à bien peu d’exceptions près, plus nuisibles qu’utiles dans l’état actuel de notre agriculture ; — que, très-peu productifs en eux-mêmes, loin de permettre d’augmenter le nombre de têtes de bétail qu’on peut entretenir sur un espace donné, ils produisaient l’effet contraire et diminuaient ainsi doublement la masse des engrais en empêchant d’une part leur plus grande production, et en occasionnant de l’autre une perte énorme de fumiers ; — et qu’enfin le droit de parcours, sans parler de divers autres inconvéniens qui seront discutés dans la partie législative de cet ouvrage, est indubitablement le plus grand obstacle à toute amélioration dans le nouveau système de culture des terres arables et même des prairies.

Les pâturages communaux, de quelque manière qu’on les envisage, sont donc de tous les plus mauvais, et si, dans quelques circonstances bien rares, des sections de communes ont su, par une administration éclairée, en tirer un bon parti, on peut être assuré d’avance que ce n’est qu’en mettant des restrictions aux droits des usagers ; — en proportionnant le nombre des bestiaux à l’étendue des terrains ; — en limitant la durée des parcours à celle des saisons convenables, et enfin en changeant jusqu’à un certain point la destination première de ses sortes de terrains.

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§ iii. — Des prairies-pâturages.

Loin d’être, comme les précédens, limités aux localités les moins accessibles, ou aux terrains les moins féconds, ceux-ci sont au contraire situés dans des sols fertiles et pour la plupart susceptibles de se prêter a tout autre genre de culture ; mais l’abondance et la qualité de leurs herbages sont telles qu’on trouve avantageux de les réserver, soit pour y envoyer une partie du jour les vaches laitières ou nourrices, les élèves de diverses espèces et de différens âges, les animaux fatigués par un travail excessif ou prolongé, et principalement les bœufs destinés à la boucherie. — Il est vrai qu’on pourrait les utiliser autrement dans beaucoup de cas, mais il est fort douteux qu’on put en tirer un meilleur parti, car la nature, qui fit tous les frais de leur formation fait aussi presque exclusivement ceux de leur entretien. Le propriétaire n’a d’autres soins à prendre que d’y envoyer ses bestiaux ou de traiter à des conditions toujours avantageuses avec les marchands qui spéculent sur l’engrais des bœufs. Il est en Normandie tel acre (environ 80 ares) de bonne pâture qui peut s’affermer de 3 à 400 fr. Il en est peu qui ne vaille de 180 à 200 fr.

Quelquefois on fauche les prairies-pâturages, et on ne les ouvre aux bestiaux qu’à l’époque où les regains se sont développés, c’est-à-dire vers la fin d’octobre ou dans le courant de novembre. Les bœufs dont l’engraissement commence à cette époque tardive de l’année passent l’hiver entier dehors, et ne reçoivent, sauf le temps de trop grandes pluies ou de neige, aucune nourriture à l’étable ; aussi engraissent-ils moins vite que ceux qu’on met dans les herbages aux approches de mai ; mais on peut les vendre en juin, et alors leur prix est plus élevé parce que la concurrence est moins grande. — En général, ceux de ces animaux qu’on met au pâturage au printemps n’y séjournent que quatre mois pour atteindre le maximum de leur poids.

Tous les herbages destinés à recevoir les bœufs qu’on engraisse dans l’ancien Cotentin, le pays d’Auge, la Basse-Normandie, une partie de la Vendée, etc., ne sont pas également fèrtiles ; mais tous trouvent néanmoins leur emploi, parce que les marchands qui amènent parfois de fort loin des animaux maigres et habitués à de chétifs pâturages, croient devoir les disposer progressivement à recevoir une nourriture plus substantielle et plus abondante. Ils louent en conséquence d’abord des terrains de médiocre valeur, — puis de meilleurs ; et enfin, assez souvent, lorsqu’ils veulent hâter le moment de la vente, ils conduisent en dernier lieu leurs bœufs dans les pacages, si chèrement payés, dont j’ai parlé ci-dessus.

La position la plus favorable pour ces sortes d’herbages est un fonds constamment rafraîchi par le voisinage de quelque ruisseau ou l’infiltration de sources souterraines qui ne sont ni assez voisines de la surface ni assez nombreuses pour donner au terrain l’aspect et les propriétés d’un marécage, auquel cas il se couvrirait d’herbes grossières fort peu du goût des animaux ; — ceux-ci se trouveraient d’ailleurs très-mal d’un séjour prolongé dans un semblable lieu.

Il est assez rare qu’on améliore ou plutôt qu’on entretienne ces pâturages privilégiés autrement qu’en répandant également les engrais qu’y laissent les bœufs et en détruisant les taupinières ; un homme qui n’obtient en échange de ce léger labeur que le logement et la permission de nourrir une seule vache à son compte, peut inspecter à la fois, en n’y employant qu’une faible partie de son temps, d’assez vastes étendues, car les bœufs casés en plus ou moins grand nombre, selon la fécondité des herbages, dans chaque subdivision de la prairie, sont entourés de haies ou de fossés qui les empêchent de s’écarter du lieu qu’on leur a destiné. Par leur position et la nature des plantes qui les composent, les prairies — pâturages appartiennent presque toujours à la division