Page:Maistre - Du pape suivi de l'Église gallicane, Goemaere, 1852.djvu/116

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lez-les au besoin sans avertir ; faites-les tous parler français ; jetez à la foule, même ce qu’ils ont voulu lui dérober. Ne manquez pas surtout de dire on au lieu de moi ; annoncez dans votre Préface qu’on ne se proposait pas d’abord de publier ce livre, mais que certaines personnes fort considérables ayant estimé que l’ouvrage pourrait avoir une force merveilleuse pour ramener les esprits obstinés, on s’était enfin déterminé, etc. Dessinez dans un cartouche, à la tête du livre, une grande femme voilée, appuyée sur une ancre (c’est l’Aveuglement et l’obstination), signez votre livre d’un nom faux[1], ajoutez la devise magnifique : Ardet amans spe nixa fides, vous aurez un livre de Port-Royal.

Quand on dit que Port-Royal a produit de grands talents, on ne s’entend pas bien. Port-Royal n’était point une institution. C’était une espèce de club théologique, un lieu de rassemblement, quatre murailles, enfin, et rien de plus. S’il avait pris fantaisie à quelques savants français de se réunir dans tel ou tel café pour y disserter à l’aise, dirait-on que ce café a produit de grands génies ? Lorsque je dis au contraire que l’ordre des bénédictins, des jésuites, des oratoriens, etc., a produit de grands talents, de grandes vertus, je m’exprime avec exactitude, car je vois ici un instituteur, une institution, un ordre enfin, un esprit vital qui a produit le sujet ; mais le talent de

  1. C’est un trait remarquable et l’un des plus caractéristiques de Port-Royal. Au lieu du modeste anonyme qui aurait un peu trop comprimé le moi, ses écrivains avaient adopté une méthode qui met ce mot à l’aise, en laissant subsister l’apparence d’une certaine pudeur littéraire dont ils n’aimaient que l’écorce : c’était la méthode pseudonyme. Ils publiaient presque tous leurs livres sous des noms supposés, et tous, il faut bien l’observer, plus sonores que ceux qu’ils tenaient de mesdames leurs mères, ce qui fait un honneur infini au discernement de ces humbles solitaires. De cette fabrique sortirent messieurs d’Étouville, de Montalte, de Beuil, de Royaumont, de Rebek, de Fresne, etc. Arnaud, que certains écrivains français appellent encore avec le sérieux le plus comique le grand Arnaud, faisait mieux encore : profitant de l’ascendant que certaines circonstances lui donnaient dans la petite Église, il s’appropriait le travail des subalternes, et consentait modestement à recueillir les éloges décernés à ces ouvrages.