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rait seul. Il retrouva les pupitres portant, gravés, des noms d’élèves ; il dédaigna de s’en moquer.

Les sept jeunes gens qui entrèrent, ce matin d’octobre, virent errer dans la classe un monsieur de petite taille, mince et vaguement voûté, au visage rasé et sans ride, mais d’où disparaissait tout autre signe de jeunesse.

Il se montra d’une bienveillance presque cérémonieuse. Ils s’étonnèrent de cette distance, de ces manières, de certains gestes des osseuses mains fines, non pas maladroites mais désoccupées, ainsi que de certains mots inusités pour eux et du timbre même de sa voix.

Toutes ces choses qui vivaient en lui sans qu’il y pensât, façonnées une fois pour toutes par des influences dont ils n’avaient pas la clef, leur semblaient, plus encore que ses habits, quoique à peu près aussi involontairement, ne pas s’apparenter à leur classe sociale, à la grosse culture classique versée à même leurs habitudes de rudesse et de pauvreté. Elles venaient de plus loin que leur ville, de plus loin peut-être que la France : vaste distance, qui refoulait en une catégorie unifiée leurs professeurs précédents, les autorités du lycée et eux-mêmes. Tout cela pesait d’un côté, le nouveau venu de l’autre. Il circulait à petits pas rêveurs, parmi eux, leurs tables, leurs blouses et leurs galoches, un peu comme un visiteur dans un musée d’ethnographie. Le silence était total.

Marguillier osa le rompre pour demander :

— Comment dis-tu qu’il s’appelle ?

Augustin écrivit le nom de Rubensohn.

Marguillier commenta : « Ce doit être un Juif. »

Assis à une table où ne figurait aucun papier, aucune note, le nouveau venu commençait de parler. Sa tête, méditativement baissée, lui donnait l’air de regarder à l’intérieur de son front. Émergeant du creux des manchettes pures, ses mains s’unissaient en ogives, par l’extrémité des doigts.

— « Il ne servirait à rien de commencer la philosophie par les définitions qu’en donnent les philosophes de métier.