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père était allé prendre, sur un rayon de sa bibliothèque, un livre de Caro. Augustin souriait, pensant au mépris dont M. Rubensohn avait enveloppé les bons vieux Cousiniens. « Oui, je sais, dit M. Méridier. Mais ils avaient un art. Leur abstraction connaissait des images sobres et vastes. » Et il comparait quelques phrases de Caro, aux plus pénibles d’entre celles d’Augustin.

Cette leçon le frappa beaucoup. Une sorte de beauté encore inexplorée sortit des abstractions et l’enchanta. Elle allait jusqu’à varier ses aspects et ses catégories. Elle n’était pas la même dans la conclusion de Boutroux à la « Contingence », au chapitre premier des « Données immédiates » et au quatrième livre de Malebranche. Et aucune des trois ne rappelait Caro.

— Je ne blâme pas cela, dit M. Rubensohn des essais d’Augustin. Soyez-en sobre. Pas plus de deux par devoir. Et chacun très sobre.

Au goût des compositions extrêmement ordonnées, qu’il portait des classes antérieures, s’allia ainsi un don d’images et de formules, conquête sur l’abstraction pure. Quelquefois, lors des grands bonheurs, comme une récompense de l’invisible, une sourde vibration entre des mots calmes. À l’extrême bout des avenues, dans la forêt des théories, on sentait en jeu les destins humains.

Parfois, la leçon terminée, ils s’accoudaient à la fenêtre, avant qu’Augustin partît.

— C’est un coin de province exquis, disait M. Rubensohn, chez qui cette vieille rue française suscitait paradoxalement un vif sentiment d’exotisme.

Les chanoines à cheveux gris, les jeunes abbés secrétaires, cheminaient sous leurs yeux.

Devant la barrière à hauteur de main, sous le dépassement des feuillages, les vieux s’immobilisaient brusquement, le temps d’enfanter une idée avant d’entrer. Les jeunes, alors, s’arrêtaient comme eux, et pleins de déférence, les regardaient faire beaucoup de gestes avec la main et quelques branlements de menton, comme si l’idée qui