Page:Malègue - Augustin ou le Maître est là, tome I.djvu/151

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Le fiacre longeait des maisons jaune brun, d’une odeur de misère, des marchands de vin, des boutiques de légumes et des boucheries fermées. Ils furent arrêtés par un embarras de camions et de baladeuses. De tristes passants rapides les frôlaient. Un vieil homme pris de vin, en blouse blanchâtre, eut le temps de développer, juste contre leurs roues, des réflexions pâteuses. Augustin entendit : « Tout ça, c’est des prrr… oblèmes ! Ceusses qu’ont étudié, y savent. Moi, je sais pas. » Ce détail, perdu dans la pauvreté des très grandes villes, resta longtemps épinglé à ses premiers souvenirs de Paris. Ils s’évadèrent par des rues fort désertes, coupées d’embranchements moins peuplés encore, creusés à travers de véritables solitudes monastiques. Une vie multiple et ancienne leur soufflait des possibilités innombrables, austères et sans bonheur.


– Ah ! dit le père, voici le Panthéon.


Il formait dans le ciel une tache mate, haute et ronde, qui semblait une variété de la nuit. On entrevoyait des édifices d’un curieux moyen âge, derrière des murailles aveugles.


Le fiacre s’arrêta. Ouverte, la porte cochère montra un jardin à perspective courte, avec des colonnes en fonte et un jet d’eau sur la pelouse de droite. Un bec de gaz d’avant Auer sifflait dans une lanterne, au centre d’ondes successives de jaune et de nuit.


Un homme en bourgeron bleu traîna la malle et dit : « Pour quelle classe ? Première supérieure préparatoire ? M. le Proviseur reçoit demain toute la journée. Venez plutôt le matin. Venez plutôt vers huit heures. » Après ces précisions concentriques, il cracha, reçut vingt sous et ferma la porte.


Augustin et son père reprirent la valise et la portèrent à un petit hôtel sordide que le professeur avait occupé pendant son année de bourse d’agrégation.


– Elle n’est pas trop lourde, papa ?