Page:Malègue - Augustin ou le Maître est là, tome I.djvu/179

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Il le fixait de ses yeux d’herbivore sauvage, silencieux amants de la vie, gardant derrière leur douceur maint souvenir secret de sa beauté.

Il cessa de caresser sa barbe et lui sourit. Le candidat comprit qu’il ne passerait pas.

Augustin n’eut pas à regretter ce retard. La classe de seconde année, la « grande cagne », se fit essentiellement pour lui et quelques autres, parmi lesquels des nouveaux venus de lycées concurrents. Christiani, Bruhl, Paulin Zeller réapparurent. Mais on ne revit pas Bernier. Largilier, tête de liste aux deux Écoles à la fois, Normale Sciences et Polytechnique, ne devait revenir que comme visiteur sur la cour grand A, où il avait avec eux tant de fois tourné. Paulin Zeller était externe désormais.

Le groupe des « talas » se reconstitua tardivement et mal. Il recevait un coup rude. L’abbé Hertzog, très malade, avait quitté sa fonction et se soignait on ne savait où. Augustin fut atterré. Il se reprocha de n’avoir pas tiré du vieil aumônier tout ce qu’il aurait pu. Qu’était-ce que onze leçons ? Juste de quoi s’assurer par les certitudes d’un autre. Il revoyait la maigre figure sereine, les yeux bleus pénétrants, calmes et déjà éternels.

— C’est une grande perte, disait-il.

— Très grande pour moi, fit assez énigmatiquement Zeller. J’aurais dû…

Il n’acheva pas ce qu’il aurait dû.

Le souvenir des douces conférences revenait avec leur parfum des premiers temps du Christ. Augustin s’était un jour excusé de ne pouvoir assister à l’une d’elles. Il se rappelait avec amertume que ç’avait été la dernière.

— Iou ! Iou ! ô ! ô ! caca ! hurlait Christiani. Je compatis ! Je mène un thrène. Je condole au deuil tala.

— Qu’est-ce que tu dis ? demanda durement Augustin, ce qui étonna Christiani, habitué à la manière bon enfant dont on prenait d’habitude ses plaisanteries.