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LE GRAND DOMAINE


bouts exposaient le bois brun original. Des miettes de pain bis, des pelures de saucisson, des taches de vin et de lait, marquaient le pourtour des écuelles à œillères, en faïence coloriée. À côté du lait, dix ou douze verres à vin grossiers et côtelés, témoignaient que des hommes buvaient impartialement les deux liquides.

Un disque plat de fromage blanc était entamé, comme dans La Fontaine. Les poules venaient picorer les miettes de pain à même le plancher et la vieille Marie de Labro faisait de temps en temps : « Pch ! pch ! » en agitant ses bras, ce qui les chassait pour quelques minutes.

Marie de Labro et Noëlle portaient la tenue rudimentaire des paysannes : cheveux plats et tendus autour d’une peau rouge lavée au savon, caraco plat, serré sur une jupe à raies verticales. Mais une cousine Berthe qui venait des villes où son mari achetait de la toile pour son commerce ambulant, levée comme les autres et déjà languissante, portait des dentelles sur sa camisole blanche et des papillotes sur ses cheveux blonds clairsemés. Elle signifiait par un certain degré d’oisiveté voulue, qu’elle eût pu, si elle avait daigné, se livrer avec la même maestria aux occupations rurales, mais qu’elles étaient au-dessous de ses rêves et de ses désirs.

Le cousin Jules revint, bien après le repas de midi. Il n’était point parti aux regains. Tout au contraire, il allait s’y rendre. Les renseignements inverses se trouvaient faux, ce qui n’avait rien d’étonnant, le cousin Jules n’ayant pas l’habitude de divulguer la direction de ses pas.

Au moment où il allait repartir, éclatèrent des bruits associés qu’Augustin commençait de connaître : aboiements furieux, roulements cahotés et ces dialogues par onomatopées, que les paysans conduisent avec leurs bêtes.

Un vieil homme entra, à la barbe annelée, sur laquelle il postillonnait et bavait un peu. Il portait la blouse bleu-noir des fermiers en voyage et le bâton à lacets de cuir.

— Voilà mon père Sazerat, dit Jules.

Il eut sur-le-champ sa tasse de café malgré ses dénégations emphatiques et violentes, auxquelles personne ne prit