Page:Malègue - Augustin ou le Maître est là, tome I.djvu/21

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ou cette voix, ce qui occupe l’âme d’Augustin, c’est l’inépuisable étonnement d’ensemble où le plonge cette vieillesse, si différente de toutes celles qu’il connaît déjà, des loueuses de chaises de l’Abbatiale, de la vieille femme d’en bas, de n’importe quelle autre vieille femme. C’est une vieillesse soigneusement maintenue et pénétrée par les incomparables aromates que sécrètent tous ces environnements. Comme le vague jaune miel imprégnant le marbre blanc de la cheminée, ou la terne eau glauque logée dans la glace, la distinction jointe à cette vieillesse est un caractère extérieur lentement déposé par l’âge, devenu motif ornemental, chargé de déceler son rang social et son style. Docilement assis sur sa petite chaise, Augustin en subit la silencieuse et opprimante grandeur.

Brusquement prend vol l’idée unique et suprême incluse en toutes ces choses, qu’elles expriment toutes, chacune avec sa nuance, non seulement l’odeur, mais aussi le feu de bois, le long passé des meubles, les baies sur les jardins, jusqu’au reflet des verres hypermétropes parmi les ciselures du face-à-main en or. Cette idée, si longtemps cherchée, Augustin la découvre enfin, est celle de « Marquise douairière ». On s’en rend compte si l’on prolonge l’i et l’è pour qu’ils aient le temps de dire tout ce qu’ils ont à dire avant d’expirer : « Marqui…se douairiè…re ».

L’énigme résolue, Augustin brûle d’en soumettre le mot à son père, dès son retour dans la rue. Un juste orgueil l’enflamme. L’étonnant salon ne l’intimide presque plus. Là comme partout, l’éclat de l’évidence a porté son apaisement et sa sérénité. Même la vision radieuse de tout à l’heure, elle aussi mordue par l’« idée », y perd peut-être quelque chose de son caractère ineffable. Car Augustin est encore trop ingénu, trop agissant, trop animal, pour dépasser par ses rêves les apports du réel, en distendre les dimensions authentiques.

Il est trop petit aussi pour savoir que le grand air et les mille aventures de la rue vont ternir l’éclat de ces images, en fêler le pur émail, l’émietter sur les trottoirs du retour.