Page:Malègue - Augustin ou le Maître est là, tome I.djvu/55

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versaient vraiment sur cet enfant tout ce qu’elles recèlent de sucs nourriciers et d’antique magnificence.

Bien des petits garçons semblables, tenant, comme on dit, la tête de la classe, sont chaque année remarqués par les proviseurs, aux débuts d’octobre, dans le soleil pluvieux des rentrées. Rien n’en eût distingué Augustin. Mais, de plus, il avait son père.

Ils se comprenaient tous les deux très profondément, très au delà des mots. Ils travaillaient ensemble, le soir, pendant les deux heures délicieuses logées entre cinq et sept, pour eux seuls. Le petit prenait l’habitude de juger lui-même du « fini » de son explication dans le De Viris, de la mécanique certitude de sa leçon en grammaire latine, à peine dirigé et guidé par le coup de pouce paternel.

À l’heure de la veillée, de huit à neuf, « comme chez les grands », tous devoirs faits à plein, toutes leçons maîtrisées, une ingéniosité dont le petit garçon ne se rendait naturellement pas compte abaissait au niveau où il pouvait les cueillir, à l’aise et sans fatigue, les fruits d’un jardin prodigieux. L’enfant, sentant parfois l’envie d’embrasser l’arbre, se retenait de jeter autour de lui ses petits poignets, à cause de la gravité de ses dix ans. Il ne se retenait pas toujours. Un sourd et fort amour gonflait le père d’un enivrement que cachait son visage et dont éclatait son cœur.

— Cet enfant vous est une joie ? interrogeait le collègue, agrégé de grammaire.

— Une grande joie, répondait l’autre, de l’air brusque, hâtif et confus dont on mange un gâteau qu’on ne partagera pas.

Les classes passèrent ainsi dans un enchantement.

Un poêle à charbon, trapu, gris cendre, immobile comme un chat de foyer, portait sur sa tête plate une casserole d’eau près de l’ébullition. Par les joints des fenêtres sifflaient les hivers. Le poêle susurrait sa petite chanson méditative, en tiers dans leur tendresse et dans leur solitude.

Il y avait sur les murs quelques photographies d’art grec, achetées non pas autrefois sur la trop mince bourse d’agré-