Page:Malègue - Augustin ou le Maître est là, tome I.djvu/76

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tière d’adjudication de biens vendus à sa requête, états provisoires de collocation. Ces termes indiquent que les hommes d’affaires exécutent, devant les biens de ce monde, les rites du respect et de la faim. Ils signifient en outre que l’argent s’en va. Intervinrent même des notaires et avoués de villes prestigieuses, Lyon ou Paris.

L’histoire se composait d’événements très anciens comme la cession de la terre et du château des Sablons, d’autres moins lointains comme la mort de la Marquise douairière, d’autres enfin beaucoup plus jeunes, tels que la dispersion de la famille, la licitation de l’hôtel, et finalement l’absorption des fermes et métairies qui restaient, par ces mêmes Lyonnais de haute fortune à qui la grande demeure, dans la solitude de ses futaies, avait plu jadis.

Tous ces faits eurent le tort de se placer, pour Augustin, entre dix et quinze ans, trop tard pour bénéficier des émerveillements de la petite enfance ; trop tôt pour être préférés aux seules choses qui comptassent : la structure de la tragédie classique, le véritable intérêt de l’Énéide, à plus forte raison la révolution littéraire due à Chateaubriand. L’image radieuse de sa préhistoire passionnée restait dans ses reconstitutions plus que dans ses souvenirs, comme un point étincelant et sans dimension, séparé du réel et des nouveaux apports de la vie.

La rumeur commença de voltiger de bouche en bouche, mêlée d’appréciations de fortune et de beauté. On disait : « Elle a de la chance ! » On ajoutait : « Déjà d’un certain âge »… Mais d’autres protestaient : « Comment ! d’un certain âge ? Vous plaisantez ! Vingt-sept ans ! Une fille merveilleuse ! C’est lui, oui, qui a de la chance ! »

On disait encore : « C’est un Desgrès de Lyon. — Pas ceux des Sablons ? — Ceux des Sablons. Ou du moins l’un des fils. » Le questionneur insistait, abritant ses doutes sous un conditionnel : « Ce serait celui qui a l’énorme fortune ? » Mais l’informateur citait des références écrasantes : « Je tiens la chose du directeur du Crédit Lyonnais. Je ne peux pas mieux vous dire. » De cette source olympienne,