Page:Malègue - Augustin ou le Maître est là, tome I.djvu/78

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Le ton était sec et très décidé, et rien ne pouvait faire pressentir ce choix.

— Mais quoi, de Musset ?

Les Contes d’Espagne et d’Italie.

— Ce n’est pas le grand Musset, dit le père, avec cette ironie dans l’indulgence qu’il avait quelquefois. Je te conseillerais le théâtre ou les Nuits. Tu les as dans les morceaux choisis de Marcou, au moins les principaux passages.

— Oui, papa, sans doute…

Augustin s’arrête comme devant un trou sur son chemin.

Son père sait parfaitement qu’il est, en seconde, certains moments où l’on désire lire Musset. Le véritable Musset, non pas le Musset ébréché et tailladé par Marcou. Et aussi, qu’il convient de devancer, si l’on peut, les poussées sentimentales, de les dériver en terrain préparé. La sensibilité d’un enfant a-t-elle besoin que tous les nœuds de la divine raison soient coupés autour de ses ailes ? Devra-t-elle voleter seule dans l’inordonné ? n’abordera-t-elle point le monde passionnel avec une certaine volonté de voir net dans le clair-obscur des lyrismes ?

Dans sa poche le père emporta les Nuits.

Ils choisissaient, toujours assez loin des routes, les endroits mi-prairies, mi-faubourgs agricoles, où les sentiers dévalaient vers l’eau du côté des moulins. En ces après-midi de dimanches, le paysan reste chez soi et souvent y laisse ses vaches. Toute la campagne n’était que solitude, coups de brise, ardeurs des débuts d’été. Quelques cloches de vêpres, hasardeuses, prodigieusement lointaines, amenées par le vent du Midi, bourdonnaient comme d’autres insectes.

Le père expliquait que toutes ces émotions, sous leur vêtement d’images célèbres, avaient une place, un sens, l’un et l’autre précis, dans la suite des circonstances sentimentales dont Musset a fait les Nuits. C’est au lecteur de trouver cette suite, avec une clairvoyance aussi délicate qu’il pourra, sous peine de comprendre à faux.