Page:Malègue - Augustin ou le Maître est là, tome I.djvu/83

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fils. Il ne savait pas dire : « Il faut qu’il croisse et que je diminue. » Une vieillesse précoce de résigné mal résigné s’ajoutait à son âge. Après Augustin venaient deux filles, puis un gros balourd de garçonnet coléreux, puis une petite de deux ans, fragile et pâle. Tous ceux-là s’éternisaient aux mains maternelles.

M. Méridier faisait encore semblant de parler de sa thèse, comme si la rédaction en fût chose assurée, allant de soi, un peu retardée seulement, par le manque de loisir, de voyages et de joie. Mais un ouvrage tout voisin venait de voir le jour, écrit par un autre. Il eût fallu dépoter, changer de terrain. Il n’en sentait pas la force. Les notes restaient dans les chemises bleues, aux rayons d’en bas, à côté des cartons personnels, inconsultées depuis nombre de mois.

— Il peut te rendre de bons services, dit-il de son collègue, M. Bougaud. Son rationalisme est clair, rapide, étroit, dans la tradition du dix-huitième. Il ne faut pas toujours regarder par la même fenêtre. Évidemment il simplifie. Évidemment aussi, les cadres durs et les fausses évidences…

Ainsi dosait-il réserves et compliments en des mélanges à teneur acide.

Il avait croisé ses deux jambes maigres et continuait de jouer avec son lorgnon, l’enlevant et le remettant devant ses yeux plissés.

Tout d’un coup :

— Tiens ! j’aurais dû demander la chaire de rhétorique quand elle s’est trouvée vacante.

Il feignait d’ignorer qu’il y avait peu de chances pour qu’elle lui fût confiée. Il savait qu’il édifiait dans l’imaginaire, seul terrain de ses revanches. Il savait qu’Augustin le savait.

— Nous aurions fait ce travail ensemble…

C’était une dissertation sur l’inspiration religieuse de Chateaubriand et du romantisme.

— Nous l’avons fait ensemble, Papa. Ceci vient de toi, et ceci, et ceci…