Page:Malato - La Grande Grève.djvu/294

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— Bien, répondant au nom de… comment dites-vous… Banuel ?

En lâchant ce nom si proche du véritable, Martine avait observé en dessous le voyageur. Pas un tressaillement ne vint révéler l’émotion ressentie par Détras.

— Je vous ai dit Bonfel, répondit d’un ton parfaitement calme le voyageur.

— Ah ! pardon. C’est qu’il y a eu dans la région un individu qui s’appelait à peu près comme cela, Banuel ou Panuel et qui a une drôle d’histoire.

Martine venait d’improviser un plan de guerre : lâcher Détras, si c’était lui, sur la véritable piste de ceux qu’il cherchait et le surveiller : l’Étoile solitaire serait une souricière.

Albert Détras sentait son cœur battre à se rompre dans sa poitrine. Un instant, il demeura silencieux, craignant que l’altération de sa voix ne décelât son émotion indicible. Cela ne dura qu’une seconde ; redevenu maître de lui par un effort suprême, il répondit du ton le plus ordinaire :

— Non, celui que je cherche s’appelle Bonfel… Jean-Paul Bonfel (Panuel se prénommait Nicolas). C’était un homme régulier, honnête, suivant toujours la ligne droite ; sa vie était très simple : ça m’étonnerait qu’il ait eu des histoires.

Et, avec un talent d’improvisation qu’il ne se connaissait pas, il dit qui était ce Bonfel : un camarade du régiment, qui avait rengagé, puis pris son congé à Saïgon où il s’était établi comme charpentier, avec l’espoir de devenir entrepreneur de travaux. Mais les affaires n’avaient pas bien marché et, au bout de quelques années, il était retourné en France, emmenant avec lui le petit Édouard, fils d’un cousin commis-magasinier, marié, devenu veuf et mort à Saïgon.

— Nous étions de bons amis, termina Détras, et quand Bonfel est parti, il m’a fait promettre d’aller le