Page:Malato - La Grande Grève.djvu/314

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L’homme regarda Berthe et une mélancolie profonde apparut un instant dans ses yeux. Il eut un instant d’hésitation, puis doucement lui demanda :

— Tu viens de l’école, ma petite ?

— Oui, monsieur, répondit l’enfant attirée vers cet inconnu par une secrète sympathie égale à la répulsion qu’elle avait ressentie pour Martine.

— Et tu vas loin comme cela ?

— Pas bien loin, à l’Étoile solitaire.

— L’Étoile solitaire ? C’est un village ?

— Non, c’est une auberge que tiennent maman et papa Nuel.

Le voyageur eut un choc. Il demeura muet, les bras étendus.

— Comment t’appelles-tu ? demanda-t-il d’une voix étranglée, lorsqu’il put parler.

— Berthe, répondit l’enfant, un instant effrayée de cette émotion.

— Berthe ! mon enfant !

Albert Détras, car c’était lui, avait saisi la petite fille dans ses bras et l’embrassait convulsivement, arrosant ses fraîches joues de larmes depuis longtemps contenues. Et Berthe, qu’il étreignait contre sa poitrine, demeurait stupéfiée, ravie de voir s’accomplir ce rêve du retour d’un père qu’elle aimait de tout son cœur sans le connaître.

— Ah ! papa, murmura-t-elle, je savais bien que tu reviendrais de Nouvelle-Calédonie.

Détras eut un tressaillement. Ce nom maudit du pays qu’il avait quitté lui rappelait sa situation : il était le forçat évadé no 3205 et devait veiller, dans une tension de chaque instant, à n’être point repris par la police.

Il ne fallait pas naufrager au port même. Geneviève avait dû être soumise à une surveillance occulte. Était-il possible que cette surveillance durât encore, au bout d’un si long temps ?