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VIII

LA GRÈVE DE MERSEY


Depuis plusieurs jours, la grève durait à Mersey. Elle avait été proclamée au lendemain même de la bataille entre syndiqués et mouchards. Ceux-ci qu’on appelait maintenant par ironie les « trois-neuf » à cause du tarif de leurs services spéciaux — vingt sept sous ! — n’en menaient pas large. Beaucoup, qui avaient jusqu’alors accompli leur vile besogne par intimidation plutôt que par goût, commençaient à réfléchir et reconnaissant dans le groupement ouvrier une force réelle, capable de lutter avec la Compagnie, ils sentaient s’éveiller en eux un sentiment de regret mêlé de remords. En somme, n’appartenaient-ils pas à cette classe ouvrière dont le destin était de travailler sans cesse, dans la misère et l’abjection pour entretenir la fortune des parasites ? Chiens de garde de la classe capitaliste, n’étaient-ils pas, eux aussi, à l’occasion, de la chair à grisou comme les travailleurs ? Les maîtres les considéraient-ils autrement qu’avec dédain ? Méprisés de ceux-ci, haïs de ceux-là, n’était-ce pas une triste existence ?

Et quelques-uns, sous ce choc moral, s’étaient rendus à la maison Brossel, où siégeait le syndicat ; honteux, des larmes dans les yeux, la voix tremblante, ils avaient confessé leur ignominie et demandé pardon à leurs camarades. Ceux-ci d’abord avaient parlé rudement à ces hommes, leur reprochant de ne se repentir que sous le coup de la défaite.

— Si nous ne vous avions pas étrillés, criait Laferme, que son renvoi excitait particulièrement, vous seriez encore à nous moucharder.

— Oui, vous n’êtes pas des hommes ! ajoutait Dubert ou Sarrazin.

Et dans la pièce, meublée seulement de quelques