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n’importe quoi, s’occupant lui-même de sa cuisine ; puis, malgré la fatigue de ses dix heures de travail et d’une heure de marche, aller et retour, il prenait un livre et lisait. Machine dans la journée, il redevenait à ce moment une créature humaine.

Sa bibliothèque, c’étaient des brochures et des journaux dont le seul titre eût bouleversé Chamot : le Révolté, hebdomadaire anarchiste que Kropotkine avait fondé à Genève l’année précédente, et dont le jeune homme s’était, on ne sait comment, procuré quelques numéros ; des exemplaires de Ni Dieu ni Maître et du Socialiste, des Manifestes aux Conscrits, imprimés clandestinement à Lyon, des pages dépareillées de livres qui avaient servi de cornets chez l’épicier ou le charcutier et que Galfe mettait soigneusement de côté lorsqu’il rencontrait quelque passage intéressant.

Cette littérature révolutionnaire, collectionnée peu à peu avec une patience infatigable, disait le caractère du jeune homme, caractère sérieux, tenace, énergique. Il ne se répandait pas en cris de colère contre les exploiteurs, ne faisait pas de phrases, sentant, plus il étudiait, combien peu il savait, mais il était capable d’un acte de froide énergie, et l’enthousiasme de ses dix-neuf ans, pour être chez lui concentré, n’en avait que plus de puissance.

Galfe n’était pas beaucoup plus causeur à la mine. Les disputes, les tournées chez le marchand de vins, les parties de quilles ne le voyaient non plus jamais et ses camarades, un peu étonnés d’abord de cette sauvagerie, qu’ils ne comprenaient pas, avaient fini par n’y plus faire attention.

Ce n’était certes point par mépris ou hostilité que Galfe s’abstenait de vivre avec eux, mais parce qu’il ne pouvait. D’un affinement de nerfs plus grand, et que ses lectures avaient encore développé, il lui était impossible de s’intéresser une seconde à des questions qui remuaient les autres mineurs.