Page:Malato - La Grande Grève.djvu/466

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Moschin ne se démontait pas facilement. Néanmoins, il se tourna, stupéfait, vers Bollard :

— C’est ça qu’on nous envoie du Brisot ? demanda-t-il d’un ton où la rage perçait plus encore que l’étonnement.

— Je n’y comprends rien, répondit le contremaître non moins interloqué. Quand je les ai quittés, il y a vingt minutes, ils étaient doux comme des agneaux et n’avaient l’idée de rien.

C’était Bollard qui, le plus ancien des contremaîtres, avait conduit du Brisot à Mersey le troupeau ouvrier et, à l’arrivée, s’était détaché pour aller prévenir le haut personnel de la direction. Troubon et Moschin, levés avant le jour, attendaient les Brisotins.

— Pourquoi ne les avoir pas conduits jusqu’ici ? avait demandé le premier. Il ne faut jamais perdre de vue les ouvriers.

— Oh ! pas de danger qu’on vienne les débaucher, avait répondu Bollard avec un gros rire. Au Brisot, les hommes sont irréprochables : de vraies machines !

Et maintenant, Bollard, abasourdi, furieux comme Moschin, voyait que ces machines étaient devenues des hommes.

— À vos rangs ! vociféra-t-il, écumant, les yeux hors de la tête. Eh bien, les contremaîtres, qu’est-ce que vous foutez donc ?

Une pierre vint le frapper à la tête : elle était lancée par Galfe.

Celui-ci, exaspéré du coup qui avait frappé son amie, sentait d’intuition qu’il ne fallait pas donner aux chefs le temps de ressaisir leurs hommes. Tout de suite, une mêlée furieuse s’engagea.

Moschin avait toute l’étoffe d’un chef de guerre. D’un coup d’œil, il jugea la situation : l’ennemi était trois fois plus nombreux et, d’un instant à l’autre, il pouvait être renforcé par une foule de grévistes