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PRÉFACE. VII

que par l’attention de l’esprit que toutes les vérités se découvrent, et que toutes les sciences s’apprennent ; parce qu’en effet l’attention de l’esprit n’est que son retour et sa conversion vers Dieu, qui est notre seul maître[1], et qui seul peut nous instruire de toute vérité, par la manifestation de sa substance, comme parle saint Augustin[2].

Il est visible par toutes ces choses qu’il faut résister sans cesse à l’effort que le corps fait contre l’esprit, et qu’il faut peu à peu s’accoutumer à ne pas croire les rapports que nos sens nous font de tous les corps qui nous environnent, qu’ils nous représentent toujours comme dignes de notre application et de notre estime ; parce qu’il n’y a rien de sensible à quoi nous devions nous arrêter, ni de quoi nous devions nous occuper. C’est une des vérités que la sagesse éternelle semble avoir voulu nous apprendre par son incarnation ; car après avoir élevé une chair sensible à la plus haute dignité qui se puisse concevoir, il nous a fait connaître par l’avilissement où il a réduit cette même chair, c’est-à-dire par l’avilissement de ce qu’il y a de plus grand entre les choses sensibles, le mépris que nous devons faire de tous les objets de nos sens[3]. C’est peut-être pour la même raison que saint Paul disait, qu’il ne connaissait plus Jésus-Christ selon la chair[4] : car ce n’est pas à la chair de Jésus-Christ qu’il faul s’arrêter, c’est à l’esprit caché sous la chair : Caro vas fuit quod habebat : attende ; non quod erat, dit saint Augustin[5]. Ce qu’il y a de visible ou de sensible dans Jésus-Christ ne mérite nos adorations qu’à cause de l’union avec le Verbe, qui ne peut être l’objet que de l’esprit seul.

Il est absolument nécessaire que ceux qui se veulent rendre sages et heureux soient entièrement convaincus, et comme pénétrés de ce que je viens de dire. Il ne suffit pas qu’ils me croient sur ma parole ni qu’ils en soient persuadés par l’éclat d’une lumière passagère : il est nécessaire qu’ils le sachent par mille expériences et mille démonstrations incontestables : il faut que ces vérités ne se puissent jamais effacer de leur esprit, et qu’elles leur soient présentes dans toutes leurs études et dans toutes les autres occupations de leur vie.

  1. Aug., De Magistro
  2. Deus intelligibilis lux, in quoi, et a quoi, et per quem intelligibiliter lucent quæ intelligibiliter lucent omnia. 1 Sol. Insinuavit nobis (Christus) animam bumanam et mentem rationalem non vegetari, non illuminari, non beatificari, nisi ab ipsa SUBSTANTIA Dei. Aug. In Joan., Tr. 23.
  3. Illa auctoritas divina dicenda est, quæ non solum in siinsibilibus signis transcendit omnem humanam facultatem, sed et ipsum hominem agens, ostendit eti quo usque se propter ipsum depresserit, et non teneri sensibus quibus videntur illa miranda ; sed ad intellectum jubet evolare, simul demonstrans et quanta hic possit, et cur hæc faciat et quam parvi pendat. Aug., 2, De ord. 9.
  4. Et si cognovimus secundum carnem Christum, jam non secundum carnem novimus II. ad Cor.
  5. Tr. in Joan.27