Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/165

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consistance de leurs erreurs, s’il est permis de parler ainsi. C’est le sceau qui scelle leurs préjugés et toutes leurs fausses opinions, et qui les met à couvert de la force de la raison. Enfin, autant que cette constitution des fibres du cerveau est avantageuse aux personnes bien élevées, autant elle est désavangeuse à la plus grande partie des hommes, puisqu’elle confirme les uns et les autres dans les pensées où ils sont.

Mais les hommes ne sont pas seulement confirmés dans leurs erreurs quand ils sont venus à l’âge de quarante ou de cinquante ans. Ils sont encore plus sujets à tomber dans de nouvelles, parce que se croyant alors capables de juger de tout, comme en effet ils le devraient être, ils décident avec présomption et ne consultent que leurs préjugés, car les hommes ne raisonnent des choses que par rapport aux idées qui leur sont les plus familières. Quand un chimiste veut raisonner de quelque corps naturel, ses trois principes lui viennent d’abord en l’esprit. Un péripatéticien pense d’abord aux quatre éléments et aux quatre premières qualités, et un autre philosophe rapporte tout à d’autres principes. Ainsi il ne peut entrer dans l’esprit d’un homme rien qui ne soit incontinent infecté des erreurs auxquelles il est sujet et qui n’en augmente le nombre.

Cette consistance des fibres du cerveau a encore un très-mauvais effet, principalement dans les personnes plus âgées, qui est de les rendre incapables de méditation. Ils ne peuvent apporter d’attention à la plupart des choses qu’ils veulent savoir, et ainsi ils ne peuvent pénétrer les vérités un peu cachées. Ils ne peuvent goûter les sentiments les plus raisonnables lorsqu’ils sont appuyés sur des principes qui leur paraissent nouveaux, quoiqu’ils soient d’ailleurs fort intelligents dans les choses dont l’âge leur a donné beaucoup d’expérience. Mais tout ce que je dis ici ne s’entend que de ceux qui ont passé leur jeunesse sans faire usage de leur esprit et sans s’appliquer.

Pour éclaircir ces choses il faut savoir que nous ne pouvons apprendre quoi que ce soit si nous n’y apportons de l’attention, et que nous ne saurions guère être attentifs à quelque chose si nous ne l’imaginons et si nous ne nous la représentons vivement dans notre cerveau. Or afin que nous puissions imaginer quelques objets il est nécessaire que nous fassions plier quelque partie de notre cerveau, ou que nous lui imprimions quelque autre mouvement pour pouvoir former les traces auxquelles sont attachées les idées qui nous représentent ces objets. De sorte que si les fibres du cerveau se sont un peu durcies, elles ne seront capables que de l’inclination et des mouvements qu’elles auront eus autrefois ; et ainsi l’âme ne pourra imaginer ni par conséquent être attentive à ce