Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/277

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les êtres ne puissent être présents à notre esprit que parce que Dieu lui est présent, c’est-à-dire celui qui renferme toutes choses dans la simplicité de son étre.

Il semble même que l’esprit ne serait pas capable de se représenter des idées universelles de genre, d’espèce, etc., s’il ne voyait tous les êtres renfermés en un. Car toute créature étant un être particulier, on ne peut pas dire qu’on voie quelque chose de créé lorsqu’on voit, par exemple, un triangle en général. Enfin je ne crois pas, qu’on puisse bien rendre raison de la manière dont l’esprit connait plusieurs vérités abstraites et générales, que par la présence de celui qui peut éclairer l’esprit en une infinité de façons différentes.

Enfin la preuve de l’existence de Dieu la plus belle[1], la plus relevée ; la plus solide et la première, ou celle qui suppose le moins de choses, c’est l’idée que nous avons de l’infini. Car il est constant que l’esprit aperçoit l’infini, quoiqu’il ne le comprenne pas ; et qu’il a une idée très-distincte de Dieu, qu’il ne peut avoir que par l’union qu’il a avec lui ; puisqu’on ne peut pas concevoir que l’idée d’un être infiniment parfait, qui est celle que nous avons de Dieu, soit quelque chose de créé.

Mais non-seulement l’esprit a l’idée de l’infini, il l’a même avant celle du fini. Car nous concevons l’être infini, de cela seul que nous concevons l’être, sans penser s’il est fini ou infini. Mais afin que nous concevions un être fini, il faut nécessairement retrancher quelque chose de cette notion générale de l’être, laquelle par conséquent doit précéder. Ainsi l’esprit n’aperçoit aucune chose que dans l’idée qu’il a de l’infini : et tant s’en faut que cette idée soit formée de l’assemblage confus de toutes les idées des êtres particuliers comme le pensent les philosophes, qu’au contraire toutes ces idées particulières ne sont que des participations de l’idée générale de l’infini, de même que Dieu ne tient pas son être des créatures, mais toutes les créatures ne sont que des participations imparfaites de l’être divin.

Voici une preuve qui sera peut-être une démonstration pour ceux qui sont accoutumés aux raisonnements abstraits. Il est certain que les idées sont efficaces, pn|qu’elles agissent dans l’esprit, et qu’elles l’éclairent, puisqu’elles le rendent heureux ou malheureux par les perceptions agréables ou désagréables dont elles l’affectent. Or rien ne peut agir immédiatement dans l’esprit s’il ne lui est supérieur, rien ne le peut que Dieu seul ; car il n’y a que l’auteur de notre être qui en puisse changer les modifications. Donc il est

  1. 1. On trouvera cette preuve expliquée au long dans le liv. suiv. ch. II.