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CHAPITRE II.
I. Des jugements et des raisonnements. — II. Qu’ils dépendent de la volonté. — III. De l’usage qu’on doit faire de sa liberté à leur égard. — IV. Deux règles générales pour éviter l’erreur et le péché. — V. Réflexions nécessaires sur ces règles.


I. On pourrait assez conclure des choses que nous avons dites dans le chapitre précédent que l’entendement ne juge jamais, puisqu’il ne fait qu’apercevoir, ou que les jugements et les raisonnements, même de la part de l’entendement, ne sont que de pures perceptions ; que c’est la volonté seule qui juge véritablement en acquiesçant à ce que l’entendement lui représente et en s’y reposant volontairement ; et qu’ainsi c’est elle seule qui nous jette dans l’erreur. Mais il faut expliquer ces choses plus au long.

Je dis donc qu’il n’y a point d’autre différence de la part de l’entendement entre une simple perception, un jugement et un raisonnement, sinon que l’entendement aperçoit une chose simple sans aucun rapport à quoi que ce soit, par une simple perception ; qu’il aperçoit les rapports, entre une ou plusieurs choses, dans les jugements ; et qu’enfin il aperçoit des rapports, qui sont entre les rapports des choses, dans les raisonnements ; de sorœ que toutes les opérations de l’entendement ne sont que de pures perceptions.

Quand on aperçoit, par exemple, deux fois 2 ou 4, ce n’est qu’une simple perception. Quand on juge que deux fois 2 sont 4, ou que deux fois 2 ne sont pas 5, l’entendement ne fait encore qu’apercevoir le rapport d’égalité qui se trouve entre deux fois 2 et 4, ou le rapport d’inégaIité qui se trouve entre deux fois 2 et 5. Ainsi le jugement de la part de l’entendement n’est que la perception du rapport qui se trouve entre deux ou plusieurs choses. Mais le raisonnement est la perception du rapport qui se trouve, non pas entre deux ou plusieurs choses, car ce serait un jugement, mais c’est la perception du rapport qui se trouve entre deux ou plusieurs rapports de deux ou plusieurs choses. Ainsi, quand je conclus que 4 étant moins que 6, deux fois 2 étant égaux à 4, ils sont par conséquent moins que 6 ; je n’aperçois pas seulement le rapport d’inégalité entre 2 et 2 et 6, car alors ce ne serait qu’un jugement, mais le rapport d’inégalité qui est entre le rapport de deux fois 2 et 4, et le rapport qui est entre 4 et 6, ce qui est un raisonnement. Uentendement ne fait donc qu’apercevoir, et il n’y a que la volonté qui juge et qui raisonne, en se reposant volontairement dans ce que l'entendement lui représente, comme l’on vient de dire.