Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/323

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droite couper un carré en deux triangles ; en deux parallélogrammes, en deux trapèzes, mais par quelle ligne peut-on concevoir qu’un plaisir, qu’une douleur, qu’un désir se puissent couper, et quelle figure résulterait de cette division ? Certainement je ne crois pas que l’imagination soit assez féconde en fausses idées pour se satisfaire là-dessus.

L’esprit n’est donc point étendu, il n’est point divisible, il n’est point susceptible des mêmes changements que le corps ; néanmoins il faut tomber d’accord qu’il n’est pas immuable par sa nature. Si le corps est capable d’un nombre infini de différentes figures et de différentes configurations, l’esprit est aussi capable d’un nombre infini de différentes idées et de différentes modifications ; Comme après notre mort la substance de notre chair se résoudra en terre, en vapeurs, et en une infinité d’autres corps sans s’anéantir, de même notre âme, sans rentrer dans le néant, aura des pensées et des sentiments bien différents de ceux qu’elle a pendant cette vie. Il est nécessaire, maintenant que nous vivons, que notre corps soit composé de chair et d’os ; il est aussi nécessaire pour vivre que notre âme ait les idées et les sentiments qu’elle a par rapport au corps auquel elle est unie. Mais lorsqu’elle sera séparée de son corps, elle sera en pleine liberté de recevoir de toutes sortes d’idées et de modifications bien ditlérentes de celles qu’elle a présentement, comme notre corps de son cote sera capable de recevoir de toutes sortes de ñgures et de conñgirations bien différentes de celles qu’il est nécessaire qu’il ait pour être le corps d’un homme vivant.

Les choses que je viens de dire font ce me semble assez voir que l’immortalité de l’àme n’est pas une chose si difficile à comprendre. D’où peut donc venir que tant de gens en doutent, si ce n’est qu’il ne leur plaît pas d’apporter aux raisons qui la prouvent le peu d’attention qui est nécessaire pour s’en convaincre ? Et d’où vient qu’ils ne le veulent pas, si ce n’est que leur volonté étant inquiète et inconstante agite sans cesse leur entendement, de sorte qu’il n’a pas le loisir d’apercevoir distinctement les idées mêmes qui lui sont les plus présentes, comme sont celles de la pensée et de l’étendue ; de même qu’un homme agité par quelque passion, et qui tourne incessamment les yeux de tous côtés, ne distingue pas le plus souvent les objets les plus proches et les plus exposés à sa vue ; car enfin la question de l’immortalité de l’âme est une des questions les plus faciles à résoudre, lorsque sans écouler son imagination l’on considère avec quelque attention d’esprit l’idée claire et distincte de l’étendue et le rapport qu’elle peut avoir avec la pensée ?

Si l’inconstance et la légèreté de notre volonté ne permet pas à