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STANCES.


Beauté, par qui les dieux, las de nostre dommage,
Ont voulu reparer les défauts de nostre âge,
Je mourrai dans vos feux ; éteignez-les ou non,
Comme le fils d’Alemene, en me bruslant moi-mesme :
Il suffit qu’en mourant dans cette flamme extrême,
Une gloire eternelle accompagne mon nom.

On ne doit point sans sceptre aspirer où j’aspire :
C’est pourquoy, sans quitter les loix de vostre empire,
Je veux de mon esprit tout espoir rejeter.
Qui cesse d’esperer, il cesse aussi de craindre ;
Et, sans atteindre au but où l’on ne peut atteindre,
Ce m’est assez d’honneur que j’y voulois monter.

Je maudis le bon-heur où le Ciel m’a fait naistre,
Qui m’a fait desirer ce qu’il m’a fait cognoistre :
Il faut ou vous aimer, ou ne vous faut point voir.
L’astre qui luit aux grands, en vain, à ma naissance,
Espandit dessus moy tant d’heur et de puissance,
Si pour ce que je veux j’ay trop peu de pouvoir.

Mais il le faut vouloir, et vaut mieux se resoudre,
En aspirant au ciel, estre frappé de foudre
Qu’aux desseins de la terre asseuré se ranger.
J’ay moins de repentir plus je pense à ma faute,
Et la beauté des fruits d’une palme si haute
Me fait par le desir oublier le danger.