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STANCES.

Et que, pour retarder une heure seulement,
La nuit déja prochaine à ta courte journée,
Je demeure en danger que l’âme, qui est née
Pour ne mourir jamais, meure éternellement ?

« Non, ne m’abuse plus d’une lasche pensée ;
Le coup encores frais de ma cheute passée
Me doit avoir apris à me tenir debout,
Et sçavoir discerner de la trêve la guerre,
Des richesses du ciel les fanges de la terre,
Et d’un bien qui s’envole un qui n’a point de bout.

« Si quelqu’un d’avanture en délices abonde,
Il se perd aussitost, et déloge du monde :
Qui te porte amitié, c’est à luy que tu nuis ;
Ceux qui te veulent mal sont ceux que tu conserves,
Tu vas à qui te fuit, et tousjours le reserves
À souffrir, en vivant, davantage d’ennuis.

« On voit par ta rigueur tant de blondes jeunesses,
Tant de riches grandeurs, tant d’heureuses vieillesses,
En fuyant le trépas au trépas arriver ;
Et celuy qui, chétif, aux misères succombe,
Sans vouloir autre bien que le bien de la tombe,
N’ayant qu’un jour à vivre, il ne peut l’achever !

« Que d’hommes fortunez, en leur âge première,
Trompez de l’inconstance à nos ans coutumière,