Page:Malherbe - Œuvres poétiques de Malherbe, éd. Blanchemain, 1897.djvu/225

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
204
LES LARMES DE SAINCT PIERRE.

Du depuis se sont veus en étrange langueur,
Qui fussent morts contens si le Ciel, amiable,
Ne les abusant pas en son sein variable,
Au temps de leur repos eust coupé sa longueur.

« Quiconque de plaisir a son ame assouvie,
Plein d’honneur et de bien, non sujet à l’envie,
Sans jamais en son aise un mal-aise éprouver,
S’il demande à ses jours davantage de terme,
Que fait-il, ignorant, qu’attendre de pied ferme
De voir à son beau temps un orage arriver ?

« Et moy, si de mes jours l’importune durée
Ne m’eust en vieillissant la cervelle empirée,
Ne devois-je estre sage, et me ressouvenir
D’avoir veu la lumière aux aveugles rendue,
Rebailler aux muets la parole perdue,
Et faire dans les corps les âmes revenir ?

« De ces faits non communs la merveille profonde,
Qui par la main d’un seul étonnoit tout le monde,
Et tant d’autres encor, me dévoient avertir
Que, si pour leur autheur j’endurais de l’outrage,
Le mesme qui les fit, en faisant davantage,
Quand on m’offenseroit, me pouvoit garantir.

« Mais, troublé par les ans, j’ay souffert que la crainte,
Loin encore du mal, ait découvert ma fainte,