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NOTICE

du pire, de l’exquis et de l’ignoble ; peu de pièces parfaites et une infinité de passages extraordinaires d’éclat, de force ou de grâce. Nul peut-être n’avait eu, depuis Rabelais, cette richesse verbale. Il possède, presque seul en son siècle, le sens de la montagne et de la mer, des climats et des saisons, et de la vie populaire autant que de la vie des cours. C’est un poète incomplet mais un poète original. Ce qu’il a gâché, dans son désordre, c’est du génie.

À côté du « roi des goinfres, » Théophile de Viau, « roi des libertins, » c’est-à-dire alors, ne l’oublions pas, des libres-penseurs. Il est né à Clarac, dans l’Agenais, et il a grandi auprès de son père, un avocat huguenot que les guerres religieuses ont forcé de se retirer dans son petit manoir de Boussières-Sainte-Radégonde, au bord du Lot. « Que n’y ai-je passé toute ma vie ! » s’écriera un jour le poète :

Dans ces vallons obscurs, où la mère nature
A pourvu nos troupeaux d’éternelle pâture,
J’aurais eu le plaisir de boire à petits traits
D’un vin clair, pétillant, et délicat, et frais,
Qu’un terroir assez maigre et tout coupé de roches
Produit heureusement sur les montagnes proches.

Mais il était de la race des gascons aventureux qui, tous, comptaient sur Henri IV pour faire fortune ; et le voilà en route vers Paris. Il y arrive au commencement de 1610 ; six mois après le roi est assassiné, sans avoir rien pu faire encore pour notre Cadet de Gascogne. Théophile cherche donc un autre maître, le trouve en la personne d’un filleul du roi, Henri II, duc de Montmorency, grand seigneur aussi libéral que vaillant, époux adoré de cette Marie-Felice des Ursins, que le poète, reconnaissant de leurs communs bienfaits, chantera un jour sous le nom de Sylvie. À la Cour, non moins qu’à l’hôtel Montmorency, ses vers sont accueillis avec faveur ; et à juste titre, car jusque dans les entrées de ballet, qu’il rime pour les fêtes du Louvre, il se montre un rare et délicieux poète. Cette fois encore, il n’eût tenu qu’à lui d’être heureux ; mais, à la ville, oubliant que le temps de la tolérance