Page:Mallarmé - Œuvres complètes, 1951.djvu/1188

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mais brillante, et ils doivent travailler pour autrui, non pour eux-mêmes. Ainsi Héraclès (appelé à tort, en français, d’après le latin exclusivement : Hercule) est l’esclave d’Eurysthéc, Achille va à Troie pour une querelle qui n’est pas la sienne, Persée se donne du mal aux ordres du roi Polyctète. Tous, ils sont tueurs de monstres et par mille moyens secourables aux hommes. C’est Bellérophon qui tue Belléros et la Chimère, c’est Persée qui détruit la gorgone Méduse; puis Thésée extermine le Minotaure. Œdipe frappe le Sphinx, et Phoibos Apollon met à mort le serpent Python. Sortons de la mythologie classique : le fait se répète en la légende de tous pays. Indra, aux contes indiens, tue le dragon Vitra, et Sigurd, dans la vieille histoire Norsc, tue le grand reptile Fafnir. Rustem, montré par les récits perses, est aussi brave et aussi puissant qu’Héraclès, et ses exploits sont de même genre. Tous ont des lances et des épées invincibles, et ne peuvent être blessés qu’à un endroit de leur corps ou que par une espèce particulière d’arme. Partout ces héros se ressemblent de figure et de caractère, aussi bien que par le cours général de leur vie. Tous ont de beaux visages, et des boucles d’or flottant aux épaules. Ils sacrifient leurs aises au bien des autres; et pas un cependant qui ne soit tenté d’abandonner ou d’oublier les fiancées de sa jeunesse et ne le fasse. C’est ainsi qu’Héraclès se sépare d’Iole et que Paris quitte Œnone; Thésée laisse Ariane, et Sigurd fuit loin de Brunehildc. Sujets aussi à l’étrange accès d’une tristesse noire et soudaine, ils partent; voici que tout devient obscur ou morne, en leur absence du banquet et de la bataille. Mais ils surgissent à la fin dans toute leur gloire première, et ont le pardon des femmes que blessa leur abandon. Tirons ceci de ces ressemblances, qu’elles ne peuvent être accidentelles; et comme nous savons que les Grecs, et les Romains, et les Hindous, et les Perses et les Norses n’ont pu copier pareilles fables les uns sur les autres, il y a trois ou quatre mille ans, force est d’en suivre la trace jusqu’à une source commune : quand les ancêtres de toutes ces tribus vivaient, comme nous l’avons dit, dans le même lieu. Où donc est la racine, où donc le germe de toutes ces histoires? Toujours dans ces mots, toujours dans ces phrases, qui peignirent d’abord les événements ou les scènes du monde extérieur. Exemple : dans les plus vieux hymnes hindous, on dit que le Soleil aime l’Aurore, et que le Soleil tue la Rosée en la regardant; or les Grecs disaient que Phoibos aimait Daphné, et que Procris fut tué par Céphale. Toutes ces histoires enfin sont réellement les mêmes, parce que des mots comme Procris, Daphné, Briséis, Hermès, les Charités et Echidna, qui n’ont pas de signification claire en grec, représentent dans les anciennes langues de l’Inde simplement