Page:Mallarmé - Œuvres complètes, 1951.djvu/1189

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des noms communs signifiant la roscc et le soleil, le matin avec ses beaux nuages et ses douces brises, les chevaux luisants du soleil, et le serpent étouffeur que sont les ténèbres. La conséquence de cet oubli de la signification première des mots, c'est que beaucoup de récits ont été dénaturés et que certains devinrent même choquants. Ainsi les hommes ayant dit du Soleil, au temps de la sécheresse, qu’il tuait les fruits de la Terre, qui était sa fiancée, les Grecs racontèrent que Tantale, roi d’Oricnt, tua et fit cuire son propre enfant. Et encore : on avait trouvé jadis que le Soleil, après avoir exterminé toutes choses nuisibles et réjoui de sa clarté la Terre, s’unit, le soir, à l’Aurore par lui laissée le matin. Mais quand les Grecs curent oublié ce que signifiait le nom d’Œdipe ils dirent de ce personnage qu’après avoir frappé le Sphinx, il se maria avec sa propre mère, et que des maux terribles s’ensuivirent. Rien de tout cela n’a été fait à dessein, et nul ne s’est jamais mis à l’œuvre pour présenter les dieux et les héros comme passant leur temps à accomplir des actes dont la pensée seule implique une honte. Il ne peut y avoir d’erreur plus grande que de croire à des nations entières soudain saisies d’une folie étrange qui les pousse à inventer toutes sortes de contes ridicules et tristes; et que chaque nation eut, à son tour, son heure de cette démence. Comment lancer une telle accusation contre des peuples qui nous ont laissé des légendes aussi belles que celles de Déméter, de Niobé, de Cadmos. et d’Hélène et d’Œnone, de Persée et de Sarpédon ? Peut-être est-il fort absurde de dire que Cronos (le père de Zeus ou Jupiter) dévora ses propres enfants; mais nous savons qu’il ne l’est point de dire que le Temps dévore les jours issus de lui. Or la vieille phrase ne voulait dire que cela et rien de plus; seulement les peuples, avant de fouler la Grèce, avaient oublié déjà sa signification. Règle générale, ces antiques tableaux que nous offre la Mythologie, sont la Mythologie véritable; c’est-à-dire qu’il faut d’abord apprendre sa formation; il restera à connaître plus tard ses transformations capricieuses, celles que lui font subir les fables des poètes*. Étudiée selon ce mode nouveau, la Mythologie jette une vive lumière sur l’histoire primitive des nations européennes. L’époque où l’on se mit à régler la Mythologie, c’est quand l’évolution en était déjà complètement faite; le hasard qui se mêlait aux mythes dans l’esprit des Grecs (car c’était une condensation libre d’images vaporeuses et naturelles) incita ce peuple harmonieux à trouver une ordonnance qui n’existait pas essentiellement. On serait étonné,

  • Le Traducteur, d’après l’Auteur.