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L’ÉTOILE DES FÉES

IL était une fois, dans une des étoiles du ciel, un inonde appelé Luminarium qui, comme notre terre, renfermait des contrées nombreuses. Terre-Libre avait été entre toutes une des plus puissantes et des plus florissantes ; mais, au moment où débute cette histoire, Dorigénès, le roi, était prématurément vieux et faible et laissait son royaume entièrement aux soins de ses ministres, plus soucieux de leur propre popularité et de leur élévation aux honneurs que de la gloire du pays. Dorigénès s’était marié tard dans la vie : il eut plusieurs enfants, entre lesquels sa favorite était la princesse Blanche, sa fille aînée, alors âgée de douze ans; celle qui ressemblait le plus à sa mère Lucinde. Cette jeune princesse avait de grands talents et un goût particulier pour la lecture; mais, quoique faisant ses délices du récit de nobles faits, il ne lui arrivait jamais de s’essayer à les égaler. Satisfaite d’être née grande princesse, d’avoir tout ce qu’elle désirait, elle ne s’inquiétait pas des créatures ses pareilles, non plus qu’elle ne s’intéressait à savoir si son rang la mettait à même de soulager quelqu’une des misères de ce monde, et d’être noble ainsi. La Fée Égoïste était sa compagne perpétuelle, et gâtait chez elle ce qui eût pu, sous une tutelle différente, lui faire une réputation distinguée. Blanche était grande et élégante, et son visage aurait paru encore plus beau, si l’expression en eût été plus douce; mais les traits, formés avec perfection, étaient froids et hautains, enlevant tout charme à sa physionomie. Princesse, elle était naturellement entourée de flatteurs, qui lui faisaient accroire qu’elle ne pouvait rien faire de mal. Ses façons altières, impérieuses, on les appelait royales ; son insolence, on la signalait comme de l’esprit : c’était du caractère que l’obstination de son esprit volontaire. Dans le grand bois avoisinant le parc de son père, était une clairière charmante, où elle pouvait se livrer, sans qu’on la troublât, à sa passion pour la lecture. Un jour qu’elle s’était retirée en son coin favori et qu’étendue sur un lit de mousse, elle s’absorbait dans le contenu de son livre, elle sentit quelqu'un lui toucher le bras; et, levant les yeux, aperçut une vieille très misérablement vêtue, qui paraissait aveugle. Ennemie de toute laideur et de toute pauvreté, la Princesse surgit de sa couche et secoua vivement la vieille qui, étant très faible, tomba presque. « Que voulez-vous ? Pourquoi me dérangez-vous ? »