Page:Mallarmé - Œuvres complètes, 1951.djvu/1305

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pourquoi cette vive Fée qui avait imploré sa compagnie semblait préférer ses propres pensées à la conversation. La Fée devina ce qui lui traversa l’esprit, et dit par façon de réponse : « Vous vous étonnez de la cause qui me fait grave et silencieuse, alors que vous êtes assez bonne pour me tenir compagnie, et je vous la dirai. J’étais dans le bois quand vous refusâtes à la pauvre aveugle le secours de vos beaux yeux brillants et, peinée de voir combien étaient négligées les qualités de votre cœur, je résolus, en dépit de la Fée Egoïste, d’employer mon influence à vous rendre aussi bonne que belle. Niais, pour arriver à ce résultat, il vous faut subir une infortune! Vous avez été jusqu’à présent trop prospère et en tout bénie, pour vous émouvoir au nom des autres et sympathiser. Vous ne songez même pas, non, jamais! aux moyens de vous rendre utile et précieuse dans votre intérieur; encore moins accorderiez-vous une pensée aux souffrances qui sont de par le monde, et vous demandez-vous si, jeune comme vous l’êtes, vous ne pourriez venir en aide. >> La Princesse secoua la tête en signe que non. au fond pleine d’indignation de la présomption émise par la Fée de la régenter; mais, effrayée de sa puissance, elle se vit contrainte d'écouter. Aussi, après une courte pause, la Fée continua : « Vous regrettez d'être venue avec moi et me jugez ingrate; mais je n'ai point de remercîments à vous faire, car je ne dois qu’à l’ébouissement de mon costume votre société où je suis. Sachant que je n’avais pas besoin de votre aide, vous n’avez, mondaine, que plus gracieusement accédé à ma demande. » A quoi Blanche baissa la tête, rougissante et comme en faute, car elle sentait la vérité des paroles de sa compagne. Comme elle restait muette, la Fée reprit : « Chère petite Princesse, croyez-moi. le bonheur le plus vrai consiste à rendre les autres heureux. Vous n’avez jamais fait l’expérience de cette félicité suprême, parce que jamais vous n’avez pris garde aux autres; mais vous y parviendrez, si vous suivez mes instructions et supportez avec patience le malheur qui va vous frapper. Dès que vous entrerez dans votre chambre, vous serez aveugle... » « Aveugle! » s’écria la Princesse, pressant d'horreur ses mains contre ses yeux. — « Et votre cécité durera jusqu'à ce que vous ayez tout à fait banni la Fée Égoïste de votre présence », continua, sans s’émouvoir, la splendide Fée. « Pendant votre affliction, vous aurez le temps de réfléchir, ce que vous ne faites point à présent. Vous sentirez ce que c’est que dépendre d’autrui pour mille petits actes de bonté, et le nombre vous apparaîtra de ceux que vous avez négligé d’accomplir. Les yeux ainsi plongés dans l'obscurité, votre esprit s’éclairera, votre cœur