Page:Mallarmé - Œuvres complètes, 1951.djvu/1309

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Les soldats rirent, la traitèrent de folle; et ils 11c voulaient pas la laisser passer, quand le prince René, qui rentrait justement d’une promenade à cheval, s’enquit de ce que voulait la bizarre vieille. Mis au fait, il songea qu'il n’y avait point de mal à ce qu’elle essayât, et lui dit avec bonté : « Venez, ma vieille dame; si vous réussissez, votre fortune est faite. Mon domestique va vous faire entrer », et on la mena dans le Palais, à la chambre de Blanche. S’avançant vers le lit, elle plaça sa main sur les yeux de la malade, murmurant : « Pauvre enfant! » —- « Qui est-ce qui parle ? » fit Blanche, presque avec un cri, car son oreille prompte reconnaissait la voix de la vieille femme à cause de qui elle subissait une punition. — « Ah! vous me reconnaissez, petite Princesse ? » répondit l’autre avee douceur. « J’ai entendu parler de votre malheur et viens vous offrir mes services. Si vous acceptez, il vous faut mettre entièrement entre mes mains. » — « Etes-vous venue me guérir, alors que je n’ai point voulu vous venir en aide ? » demanda avec incrédulité la belle aveugle. — « Je calmerai votre douleur; mais 11e vous souvenez-vous point de ce qui seul vous peut rendre la vue ? » Amanda réfléchit et se remémora qu’il fallait que son caractère subît un grand changement; mais elle ne semblait pas savoir de quelle façon entreprendre cette réforme. —- « Eh bien, je vais d’abord m’occuper de votre mal, puis je resterai avec vous jusqu’à ce que vous regagniez la vue : car il se peut que je sois à même de vous y aider », dit la vieille, sortant en même temps une fiole d’un sac qu’elle portait; et, du contenu imbibant un linge, elle le mit sur les yeux de la Princesse : aussitôt l’inflammation tomba, et la brûlure cessa. La malade se vit magiquement soulagée et céda à un long sommeil tranquille. Quand elle s’éveilla, la vieille était encore assise à son côté, et lui dit : « Vous êtes maintenant délivrée de toute douleur et, pour persévérer dans cct état, il vous faut porter ce mouchoir magique attaché sur les yeux, jusqu’à ce que vous voyiez », et elle noua un mouchoir d’un beau tissu léger. « Maintenant que vous avez cessé de souffrir, vous pourrez penser », ajouta-t-elle; « c’est pourquoi je vais vous quitter pour quelque temps. » Et, en effet, elle partit de la chambre, laissant la servante de la Princesse seule avec elle. Blanche certes pensa, car son esprit lui semblait merveilleusement clair après le repos délicieux dont elle avait joui; elle commença à tout analyser, son caractère, sa conduite : or sa conscience réveillée lui disait que la Fée Bonté avait raison, — qu’elle était égoïste et point aimable, et ne considérait le bonheur de personne, excepté le sien, — que, malgré qu’elle fût une grande Princesse, elle ne comptait pour rien au monde, où tout irait aussi bien sans elle.